Et si on créait plus de valeur ajoutée avec nos déchets?

Illustration ©Vincent Dubois

Il existe déjà de nombreuses solutions locales dans le monde, mais il faut aller beaucoup plus loin, upériser le recyclage des déchets…

Nous avons tous vu ces vidéos d’horreur des déchets flottants parmi les pingouins, les montagnes d’ordures en feu dans des pays en développement et les plages de rêve transformées en cauchemar. Et de se rendre compte qu’une partie de nos déchets était envoyée vers la Chine. Impensable. “Peux mieux faire” dirait mon instit’…

États des lieux

On le sait, les tonnages de déchets vont doubler d’ici 2050. Parallèlement, le transport devient de plus en plus cher (les taxes notamment) et a un impact CO2 énorme sans compter l’encombrement des routes.

Il y a aussi déjà une pénurie de chauffeurs. Les zones de basses émissions empêchent les camions d’entrer en ville. Et puis la législation qui va avec est devenue un vrai casse-tête. Les prix de vente des matériaux de récupération ont, pour leur part, déjà diminué de moitié, et cela va continuer.

De très gros investissements seront donc nécessaires à court et moyen terme (camions de collecte propres, tri, traitement), opéré par des entreprises en oligopole. Pas très clair tout cela…

À cela s’ajoute les lois européennes qui vont aussi venir “disrupter” ces grosses installations. Nous allons devoir nettement moins incinérer et moins mettre en décharge. Donc, autant dire que certaines de ces installations ne pourront pas être amorties.

Quant à la qualité de tri, elle reste mauvaise, compliquant le recyclage même. La pire situation reste dans les pays en voie de développement qui deviennent des décharges à ciel ouvert. Dans nos pays, les taxes liées aux collectes et tri des déchets vont donc augmenter, favorisant la décharge sauvage alors que 75% des déchets sont potentiellement recyclables, et que même en Occident on ne recycle que 30%.

Notre idée folle

Face à ce constat, début 2017, nous avions eu une idée un peu folle: celle de recycler les déchets de façon délocalisée dans des micro-usines. Nous avons eu droit à des rires et moqueries. C’était bon signe. Nous tenions quelque chose.

Et au terme d’une après-midi de réflexion, nous sommes arrivés à un projet pilote win-win, concret, improbable de prime abord, en mettant d’accord des acteurs de premier plan qui ne s’étaient jamais imaginés collaborer. En un mois, trois autres projets ont émergé avec d’autres partenaires locaux.

Pour y parvenir, nous avons eu droit à deux douzaines de raisons de blocage. Mais voici la stratégie:

• Récupérer les pertes de rentabilité, à cause de la petite taille, par les synergies entre les différents flux, l’économie en transport et la valorisation financière des produits qui sortent de la micro-usine (carburant, calories, pellets, matières, mobilier,…)

• Exiger des exceptions juridiques afin de permettre d’innover;

• Inclure les partenaires publics dans les brainstormings et projets;

• Créer des économies parallèles (avec cryptomonnaies s’il le faut);

• Créer des emplois d’insertion et adaptés;

• Profiter d’incitants fiscaux et de subsides spécifiques;

• Motiver la population au cœur même des projets, en rendant palpable la valeur du tri et de la revalorisation;

• Exporter notre savoir faire dans territoires vierges pour déployer nos solutions locales;

• Créer de la valeur ajoutée locale et circulaire, un outil de formation et de sensibilisation;

• Le coût de l’énergie est proportionnel à la masse des installations — la petite taille sera plus économe et même motorisable par énergie solaire ou de cogénération avec le méthane produit sur place…

Oser mettre en question le “système”

Les systèmes existants sont trop statiques et anciens. Nous ne trions et recyclons pas plus qu’il y a 20 ans… Là, nous devenons dynamiques et tenons compte de l’évolution de la société et de ses besoins, tout en étant plus rapides et efficaces, plus souples.

Il existe déjà de nombreuses solutions locales dans le monde, mais il faut aller beaucoup plus loin, upériser le recyclage des déchets… Le “parc à conteneurs” peut évoluer encore, en lien avec les zones d’activités, avec la possibilité de recycler sur place. Mais surtout, les acteurs locaux ne se parlent pas assez. Rien que cela créerait une plus value et une réduction de coûts très importante.

Le tout mis bout à bout, ce “changement de paradigme” répond aux multiples enjeux de ce secteur. En bonus, la création d’emplois durables locaux et une relocalisation d’une industrie vraiment vertueuse et inspirante pour nos jeunes. La Belgique a un vrai rôle à jouer sur ce coup-là aussi.

* Le collectif du Club of Brussels est composé de Xavier de Ghellinck, Didier Lodewyckx, Michel de Kemmeter, Benoit Pitsaer, Axelis Nuyt, Pascal Léglise, Sven Wiltink, Etienne Offergeld, Thierry Pauwels, Pierre Chaudoir, Donald Marchandise, Guilain Sevriere, Briony Vanden Bussche, Hupin G., J-M Legrand et Jérôme Matthieu de Wynendaele. www.clubofbrussels.org

(English) Build tomorrow by awakening everyone’s true calling

Source : L’Echo
Translation : Club of Brussels

The Club of Brussels* starts its second season on a key theme that touches us all: to prepare for the jobs of tomorrow.

About thirty experts were united in Agoria’s offices to find alternatives in reconnecting the population to their vocations, in the desire to learn about the jobs anticipated by the society of tomorrow – while facing multiple stakes that are promising to be overwhelming.

The forecast is shocking: based on the existing evidence, we will be missing 600,000 people in Belgium from here to 2030 to keep our economy turning. Even if we manage to ‘update’ the skillsets of 4,6 million people, Belgium will lose 95 billion euros of GDP per year from now to 2030, which is increasing in the meantime. We will therefore lose 540 billion, while we need as much to finance pensions, security and the 25 other historical stakes that will converge by then.

The stakes are doubled by the fact that a great number of the youth lag behind in regards to the jobs in demand, and that numerous members of generation X and Y are weakened and unable to take up on technological jobs – while they have to truck on for another 15 to 20 years…

Proposed strategy for progress

Preparing for the future by informing the public on the various stakes at hand, and how to function in a way that is more ‘systemic’. Through media publications, as well as conferences and articles, hidden issues and opportunities can be explained simply. Having a message that is pragmatic but optimistic – opportunistic and reassuring, doubles as a call to action for resources and talents around concrete projects, because we will then be doing nothing alone. Information and training around new ways to behave that work (systemic, collaborative, multisolutions) with eye witness reports and examples.

Put ideas to the test without waiting, with pioneers and visionary companies. According to the model validated by Extrapreneurs, let us make bridges between companies, regions, citizens and the authorities, starting off well-constructed collaborative projects. A regional project based on this in Walloon Brabant has already begun.

Communicate what works. Communication is key. Across the overarching noise and depression, there will emerge exciting dynamics of which citizens, companies and authorities can take part in.

Empower people and organisations towards new human and technological skills. This has to be based on the links between concrete projects bringing an added value that is direct and visible. Making links between associations, schools, local communities and Actiris, the Forem ou VDAB is essential. Professional training must be based on the motivation of every individual to flourish, on tangible perspectives of work where they can live our their passions. Also, multiply the spaces given to training, to increase the possibilities of starting. Implicate senior citizens, companies, and experts, and include online learning technology. Überise learning by bringing everyone together.

Include learning modules on ‘reconnection’ where everyone can take the time to connect with themselves and what really passions them, that will give them the energy to develop their talents in line with who they really are, and as anticipated by the rest of the world. A prerequisite. With this the individual will remain in a state of fear and dependence. Let us make no illusions, they will remain the majority – but let us construct tomorrow will profiles that are both ‘connected’ and have inner coherence. Too many people stay in their comfort zone, and so are unmotivated and inefficient. Awaken the true passions of everyone, their talents and thus motivation, which is a key towards creativity, engagement and productivity. Everyone will become entrepreneur of their own lives. A major reboot.

Co-construct the solutions and businesses of tomorrow, through entrepreneurial coalitions. Move onwards then, with discernment, to technological, creative, financial ressources and corporate coalitions to start, refine and deploy new ‘multisolutions’. Everyone pursuing their own excellence.

Ally yourselves with other regions. Once on route, be an example to other countries and regions. Let us export this new dynamic of progress. Belgium is very much expected to bring forth a new economic philosophy, which brings together humanity, sustainability and an increase in common progress. A philosophy that everyone can agree with… And therefore our current region will become attractive and many will come over to contribute to its development.

*Collective www.clubofbrussels.org: Diallo A., Legrelle A., Foucart A., de Bellefroid B., Legrand J.M., Pitsaer B., Vanden Bussche B., Bainzsyk C., Marchal C., Lodewyckx D., de Duve D., Lejeune X., Blake F., Convent F., Tablot G. Thil J.P., Fransen J. Massoels J. Verhulst J., Dufrane L., Dominicy M., de Kemmeter M., Pasture M., Soupart N., Dambly, P. Chaudoir P., Goossens R., Heymans S., Dehut I.

Éveiller des vocations pour construire demain

Publié dans l’Echo le 18 Octobre 2019
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Le Club of Brussels* démarre sa saison 2 sur un sujet clé pour tous: préparer aux métiers de demain.

Par le Club of Brussels, un groupe de réflexion sur la transition économique

Une trentaine d’experts se sont réunis dans les bureaux d’Agoria pour trouver des alternatives pour reconnecter la population à ses vocations, à l’envie d’apprendre des métiers attendus par la société de demain – face aux enjeux multiples qui se promettent décoiffants.

L’état des lieux nous met en échec et mat: avec les éléments dont nous disposons, il nous manquera 600.000 personnes en Belgique d’ici 2030 pour faire tourner notre économie. Même si nous arrivons à “mettre à jour” les compétences de 4,6 millions de personnes, la Belgique perdra 95 milliards d’euros de PIB par an d’ici 2030, et de façon croissante d’ici là. Nous perdrons donc environ 540 milliards, alors qu’il nous en faudra autant pour financer pensions, sécu et 25 autres enjeux historiques qui vont venir converger d’ici là.

Ces enjeux sont doublés du fait que de nombreux jeunes sont en décalage par rapport aux jobs proposés, et que nombreux génération X et Y sont exsangues et incapables de rebondir sur les métiers technologiques – alors qu’ils devront encore “tirer” 15 à 20 ans…

Stratégie progressive proposée

Se préparer à l’avenir en informant le grand public sur les divers enjeux qui se profilent, et apprendre comment fonctionner de façon plus “systémique”. Par publications média, ainsi que conférences et articles, expliquer simplement les enjeux et opportunités cachées dessous. Avoir un message pragmatique mais optimiste – opportuniste et rassurant, doublé d’un appel à la mobilisation de ressources et talents autour de projets concrets, car on ne fera plus rien seul. Information et formations autour des nouvelles façons de fonctionner qui marchent (systémiques, collaboratives, multisolutions) avec témoignages et exemples.

Tester les idées sur le terrain sans attendre, avec les pionniers ainsi que les entreprises visionnaires. Selon le modèle validé d’extrapreneurs, jetant des ponts entre les entreprises, les territoires, les citoyens et les pouvoirs publics, démarrer des projets collaboratifs bien construits et maillés. Un projet territorial pilote démarre dans le Brabant wallon dans ce sens.

Communiquer sur ce qui marche. La communication est la clé. À travers le bruit et la dépression ambiante, sortir du lot avec des dynamiques excitantes dans lesquelles citoyens, entreprises et pouvoirs publics peuvent participer.

“La formation professionnelle doit être basée sur la motivation de chacun de s’épanouir.”

Club of Brussels

Mise en puissance des personnes et organisations sur de nouvelles compétences humaines et technologiques. Cela devrait être basé sur des liens avec des projets concrets apportant une plus-value directe, visible. Faire des liens entre des associations, des écoles, des communautés locales et Actiris, le Forem ou VDAB est essentiel. La formation professionnelle doit être basée sur la motivation de chacun de s’épanouir, sur des perspectives tangibles de jobs où ils pourront vivre leurs passions. Aussi, démultiplions les espaces de formation, pour décupler les possibilités de s’initier. Impliquer séniors, entreprises, experts, en incluant les technologies d’apprentissage en ligne. Überisons la formation en se mobilisant tous.

Inclure des modules de “reconnexion” où chacun pourra prendre le temps de se connecter avec ce qui le passionne vraiment, ce qui procurera l’énergie de développement de talents cohérents avec qui ils sont et avec ce qui a réellement du sens, et est attendu par le monde. Un prérequis. Sans cela, l’individu restera dans une posture de peur et de dépendance. Ne nous faisons pas trop d’illusions, cela restera la majorité – mais construire demain ne se fera qu’avec des profils “connectés” et cohérents. Trop de gens sont “à côté de leur axe”, et sont donc démotivés et inefficaces. Réveiller les vraies passions de chacun, ses talents et donc sa motivation, est une clé vers la créativité, l’engagement et la productivité. Chacun deviendra entrepreneur de sa propre vie. Un méga reboot.

Co-construire les solutions et business de demain, en coalitions entrepreneuriales. Allions ensuite, avec discernement, des ressources technologiques, créatives, financières, coalitions d’entreprises, pour démarrer, affiner, et déployer de nouvelles “multisolutions”. Chacun dans son excellence.

S’allier avec d’autres territoires. Une fois en route, servons d’exemple à d’autres pays et territoires. Exportons cette nouvelle dynamique de progrès. La Belgique est totalement attendue sur une nouvelle philosophie de l’économie, alliant humain, durabilité, croissance de progrès commun. Une philosophie qui mettrait tout le monde d’accord… Du coup, notre territoire deviendra attirant et de nombreuses personnes viendront contribuer à son développement.

*Collectif www.clubofbrussels.org: Diallo A., Legrelle A., Foucart A., de Bellefroid B., Legrand J.M., Pitsaer B., Vanden Bussche B., Bainzsyk C., Marchal C., Lodewyckx D., de Duve D., Lejeune X., Blake F., Convent F., Tablot G. Thil J.P., Fransen J. Massoels J. Verhulst J., Dufrane L., Dominicy M., de Kemmeter M., Pasture M., Soupart N., Dambly, P. Chaudoir P., Goossens R., Heymans S., Dehut I.

Les entreprises pleurent pour des profils “technologiques”

Publié dans l’Echo le 28 septembre 2019

Des gens sans emploi, et des emplois sans personne. Tandis que, sur fond de digitalisation, des entreprises pleurent pour des profils “STEM”, versés en sciences, technologie, ingénierie ou mathématiques. Le marché du travail est grippé en Belgique. Témoignages, et pistes de solution.

Quand autant d’acteurs entonnent la même mélodie, cela devient un chœur. Qu’il est difficile de ne pas entendre. “On recruterait davantage si l’on avait plus de talents à notre disposition“, témoignait ce patron de start-up dans notre série consacrée à la biotech, publiée fin de l’année dernière. Trouver des travailleurs qualifiés, voilà qui dans l’ordre de mes priorités, vient avant la recherche de nouveaux clients, pointait le week-end dernier, dans L’Echo, le patron de la société technologique Technord. Rejoint, dans le même journal, par des chefs étoilés confrontés au manque de mains en cuisine.

Vous en voulez encore? On a du stock. “Nous avons deux postes à pourvoir pour des rayons importants, se désole Marc Filipson, à la tête de la librairie bruxelloise Filigranes. Nous recevons plein de candidatures enthousiastes.” Mais nulle trace d’un libraire présentant l’expérience requise. La Défense vient de s’y mettre, elle qui cherche à remplir 2.035 postes, en mettant l’accent sur des profils techniques et féminins. Quant au secteur de la construction, il avance le chiffre de 13.000 jobs en souffrance.

Les enquêtes auprès des entreprises le montrent, insiste l’économiste Philippe Ledent (ING). L’indicateur ‘manque de main-d’œuvre’ grimpe dans les contraintes à la production. N’y voyons pas les élucubrations de l’un ou l’autre entrepreneur, il s’agit d’une réalité. Le marché belge de l’emploi souffre d’une inadéquation entre l’offre et la demande.D’un côté, 139.000 emplois vacants (pour le deuxième trimestre 2019, chiffre Statbel). Et de l’autre, 500.313 demandeurs d’emploi inoccupés (en août 2019, selon la BNB). Sans que les seconds ne puissent combler les premiers. Ce qui n’est pas indolore pour la société. “D’un point de vue macroéconomique, cela coûte de l’activité et de la croissance, dont 50% reviennent à l’État et peuvent être redistribués.

Un phénomène qui touche tous types de profils; consulter la liste des métiers en pénurie suffit à s’en convaincre, elle qui va de développeur informatique à coiffeur, en passant par maçon, comptable, analyste financier, soudeur ou menuisier.

“Il existe plus de 80 initiatives pour soutenir les STEM. Une stratégie coordonnée serait plus efficace.” Dominique Demonté
Directeur Agoria Wallonie

Prenez Proximus, où l’on a en permanence entre cinq et dix postes de “jointeurs cuivre” ouverts. “Un métier lourd, qui n’attire plus les jeunes, commente Anne-Françoise Adams, à la tête du ‘job center’ de l’opérateur télécom. Et que l’on n’apprend pas entièrement à l’école.” Aussi tout nouvel engagé part-il pour un an de formation. Afin de toucher des jeunes, Proximus met sur pied un programme de formation en alternance, en collaboration avec Actiris, le Forem et le VDAB.

“Le plus gros défi, la construction”

Tous types de profils, donc, même si le nerf de cette “guerre des talents” se situe du côté des filières STEM – à savoir sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. Ingénieur ou développeur informatique? Les entreprises pleurent après vous. En cause notamment, le processus de digitalisation qui est en marche. Et va révolutionner notre marché du travail, est-on convaincus chez Agoria, la fédération de l’industrie technologique. Où l’on insiste: la digitalisation constitue une aubaine pour l’emploi, devant créer 3,7 nouveaux postes pour chaque emploi disparu. À condition de trouver les bras et les cerveaux nécessaires. Parce que si rien n’est fait pour répondre au défi digital, quelque 584.000 postes devraient rester vacants en 2030 – soit “95 milliards de prospérité” dans la balance.

Une nuance, à ce stade. L’avenir sera-t-il aussi technologique que le voit Agoria? Ce n’est pas certain, tempère Michel de Kemmeter, fondateur du programme Extrapreneurs et membre du think tank Club of Brussels, dédié à la transition économique et chargé par Agoria de réfléchir à la problématique des “métiers de demain”. “Il y a aussi une part de fantasme collectif. Qui va concevoir, sécuriser et entretenir cette technologie? Tous ces objets connectés constitueront un bac à sable pour les hackers. Je connais déjà des gens qui pleurent pour des ‘data scientists’ et doutent que l’on dispose des moyens humains nécessaires. Et au-delà, se profile un aspect plus philosophique. Veut-on d’un monde à ce point digital? Avec une population vieillissante, et de plus en plus de jeunes qui se ‘dédigitalisent’? Pour moi, le plus gros défi se situe du côté de la construction. Avec 95% du bâti qui a besoin, à tout le moins, d’un rafraîchissement.

Mais au final, quelle que soit l’ampleur de la vague digitale, le défi est déjà posé. La guerre des talents fait rage. “La demande d’assistance à la transformation digitale est en hausse, souligne Piet Vandendriessche, CEO de Deloitte Belgique. Ce business affiche une croissance de plus de 20%.” La chasse aux profils est ouverte. “En quelques années, la proportion de profils STEM que nous engageons est passée d’un dixième à un cinquième, voire un quart. Pour l’heure, nous trouvons les profils recherchés, mais avec beaucoup d’efforts! Ce qui nous préoccupe, par contre, c’est la question de la mixité. Il existe trop peu de femmes qui se lancent dans ces filières.

La concurrence entre entreprises est forte, souligne Joël Poilvache, directeur pour la Wallonie et le Luxembourg du bureau de recrutement Robert Half. “Celles-ci doivent cultiver leur image de marque et soigner leur attractivité en tant qu’employeur.

Pas toujours évident. “Les profils IT sont désirés sur le marché, pose Sandra Wilikens, à la tête des ressources humaines chez BNP Paribas Fortis. Nos plus gros concurrents sont les start-ups et les fintechs, considérées au premier abord comme plus sexy.” Attirer rime alors avec innover. “Cette année, nous venons de lancer un challenge ludique“, les quarante meilleurs candidats décrochant une place dans une finale qui se tiendra en présence des grands patrons. Hormis les pics liés aux gros projets, la banque assure réussir à trouver les ressources nécessaires sur le marché. Et pour les pics, eh bien, il y a le recours aux forces vives externes. Parmi les principaux contractants de BNP Paribas Fortis, on trouve TCS, pour Tata Consulting Services, le géant indien de l’informatique.

Chez Proximus aussi, l’IT nécessite une bonne dose d’attention. Certaines fonctions concentrent pas mal de personnel externe. “Nous travaillons aussi de près avec des écoles de codage, comme l’École 19, BeCode ou MolenGeek, glisse Anne-Françoise Adams. C’est une nouvelle stratégie, nous essayons d’aller à la source. Ces personnes passent quelques mois en stage et nous tentons de les conserver une fois qu’elles décrochent leur diplôme.” Cela passe aussi par de la formation en interne – un cycle lié à la cybersécurité vient de se boucler. Là où Proximus souffre davantage, c’est pour dénicher des profils versés en marketing digital. “Il y a très peu de personnes sur le marché et la demande est forte. Nous avons mis des mois à ‘staffer’ .

Pas de doute. Pour Fabien Pinckaers, “le nerf de la guerre, c’est le recrutement“. L’homme sait de quoi il parle: il est à la tête d’Odoo, la société informatique wallonne qui fournit une suite d’applications intégrées pour les PME. “Il y a quelques mois, on parlait d’engager 180 développeurs cette année en Belgique. On a revu notre ambition à la baisse, à 120. Et on risque de n’arriver qu’à 100.” Ce qui bloque? Le manque de troupes, pardi!L’UCLouvain ne forme que 80 développeurs par an. Le problème est vite résumé.

“On aurait préféré des Belges”

Alors il faut composer. Odoo se “vend”. “Nous venons de développer 2.000 casse-tête en bois, à envoyer à des développeurs. Dedans, un message avec un challenge intellectuel.” Sensibilise. “Nous avons développé un business game, centré sur les scale-ups.” Sponsorise: pas mal de gobelets réutilisables utilisés dans les cercles étudiants affichent le logo Odoo. Débauche. “On va chercher des gens dans d’autres entreprises. C’est un peu triste, puisque cela n’améliore en rien l’économie belge.” Et passe par l’international, seule la moitié des quelque 700 employés étant basés en Belgique. “On teste le Portugal et le Maroc, où l’on cherche des gens à faire venir en Belgique. Et nous avons une filiale en Inde. On aurait préféré des Belges, mais bon…

Composer, et faire avec les conséquences. Parce qu’un besoin inassouvi de travailleurs se répercute généralement sur le chiffre d’affaires. “Il en existe, des entreprises, qui renoncent à des commandes, faute de capital humain“, regrette Dominique Demonté, directeur général d’Agoria Wallonie.

La concurrence est féroce, admet Isabelle Dehut, en charge des ressources humaines chez Sapristic-Biion, entreprise néolouvaniste active dans la transformation digitale et l’informatique industrielle d’automation dans le secteur de la santé. Des profils en automation, il en sort peu; or la demande est écrasante. Il ne suffit pas de trouver des profils, encore faut-il savoir les retenir, puisqu’on se les arrache. Si l’on est servis pour l’instant, de novembre à août, la lutte pour le recrutement a été acharnée. Et il est vrai que des plannings ont déjà été ralentis, par manque de personnel. Il a fallu, parfois, sous-traiter des parties de chantier. Cette pénurie nous rend moins agiles.

Dans une étude publiée fin 2018, Agoria chiffre à 95 milliards d’euros la “prospérité dans la balance” si la Belgique rate le virage de la digitalisation.

Cela étant, le poids de ces processus qui se digitalisent et de ce monde qui évolue ne se répercute pas sur les seules entreprises. Une société qui bouge, c’est aussi, voire avant tout, des travailleurs qui bougent. De gré, ou poussés dans le dos. Chez BNP Paribas Fortis, cela se traduit dans un bilan personnel: quelles sont les compétences nécessaires pour “coller” à la stratégie, et, parmi elles, lesquelles sont à acquérir? “Près de 9.000 employés sont déjà passés au travers de ce processus“, renseigne Sandra Wilikens. Ce qui ne se fait pas sans casse. “Certaines fonctions disparaissent. Mais nous avons formulé une promesse: ‘job to job’. Une fonction perdue ici doit mener à une autre, que ce soit au sein de la banque, ou en dehors. Nous avons par exemple deux personnes qui suivent une formation de trois ans en infirmerie.

Or les “trajets de formation” ne peuvent accomplir de miracles. De détenteur d’un poste menacé, on peut basculer dans une cellule “reconversion”, comme chez Proximus. “Oui, nous avons des dizaines de personnes, pour lesquelles on ne trouve pas des jobs internes, mêmes pas avec une formation ciblée, confie Anne-Françoise Adams, parce que certaines fonctions arrêtent d’exister, ou ne sont pas accessibles vu leurs exigences physiques. Parfois, même avec des formations, on ne parvient pas à amener tout le monde à bouger. Alors, pour ces personnes, on trouve des missions temporaires en interne mais cette voie n’est pas illimitée non plus.

Où sont les “Stem”?

Évidemment, lorsqu’il s’agit de relier compétences acquises et attentes du marché, les regards se tournent vers l’enseignement. À raison. Même s’il est permis de se demander si les entreprises ne pourraient-elles pas, elles aussi, participer davantage à l’effort de guerre, glisse Philippe Ledent. “J’entends parfois des entreprises dire qu’elles cherchent quelqu’un qui en veut et doté d’un savoir-être convenable, raconte Arnaud le Grelle, directeur pour la Wallonie et Bruxelles de Federgon, la fédération des prestataires de services en ressources humaines. Peu importe les qualifications. Très bien. Sauf que les formations en entreprises ne courent pas les rues. Et on n’observe pas non plus de recrutement massif de gens non qualifiés mais volontaires.

L’enseignement, disions-nous. Où certains indicateurs sont au vert. Les filières scientifiques enregistrent des inscriptions en hausse, se réjouit-on à l’UCLouvain en cette rentrée 2019. “En cinq ans, le nombre de primo-inscrits dans les filières Stem (science, technologie, ingénierie et mathématiques, NDLR) a crû de près de 30%“, indique Michel Verleysen, doyen de l’École polytechnique. 517 en 2014 à l’UCLouvain, contre 656 en 2018. Soit une progression de 26,9%.

Qu’il convient toutefois de relativiser, à l’aune de plusieurs facteurs. “Parce que le nombre global d’étudiants est en hausse, de 20% sur dix ans. Parce que la proportion de femmes dans ces filières reste faible, entre 15 et 20%. On a beau faire des efforts, c’est regrettable. Enfin et surtout, le nombre d’étudiants y reste nettement insuffisant. Il faudrait presque le doubler.” Surtout que si les inscriptions grimpent, le nombre de diplômés a tendance, lui, à stagner: 323, toujours à l’UCLouvain, pour la cuvée 2014-2015, et 336 pour celle de 2017-2018.

Du codage, dès six ans!

Nettement plus d’étudiants? Ce n’est pas Agoria qui s’y opposera. “En Communauté française et en 2016, 16% des diplômés l’étaient dans une filière Stem, chiffre Dominique Demonté. Contre une moyenne de 25,6% dans l’Union européenne.” Agoria a fait ses comptes pour les ingénieurs. En vingt ans, le nombre de diplômés n’a fait que stagner: ils étaient 1.318 en 1998 et 1.279 en 2018. “Pour remplir les besoins actuels, il en faudrait 500 de plus par an!” Et, à l’horizon 2030, Agoria parle de presque 2.000.

Chez Federgon, on suggère par ailleurs de se pencher sur le fonctionnement des organismes publics en charge de la formation. “Ils font du très bon travail, avance Arnaud le Grelle. Mais manquent d’agilité. Dès qu’une formation avec cinq places est ouverte, ils se disent qu’ils répondent à la problématique. Alors que ce ne sont pas cinq places qu’il faudrait, mais cinq cents, si pas cinq mille. Trop rigides, ils ont du mal à s’adapter aux besoins. Pourquoi ne pas fermer un certain nombre de formations qui vivotent pour frapper un grand coup dans une filière porteuse? Eux, dans un esprit très service public, entendent aider tout le monde.” Et faire un petit peu de tout.C’est comme un commerçant qui mettrait tous ses jouets en vitrine, un de chaque. Tandis que son concurrent, qui aurait compris quel est LE jeu du moment, axerait toute sa vitrine sur ce produit phare.

On terminera sur une piste dessinée par Fabien Pinckaers. Qui ne s’étonne guère que la filière informatique soit peu ou prou boudée dans l’enseignement supérieur. “L’informatique est absente des primaires et des secondaires. Qui va, dans le supérieur, se lancer dans quelque chose qu’il ne connaît pas?” Pour le patron d’Odoo, la solution passerait par un apprentissage du codage dès le plus jeune âge. Du codage en primaire? “Dans le top dix des entreprises mondiales, vous en trouvez six qui ont été fondées par des développeurs. C’est le nouveau MBA, en plus efficace! Et puis, il faut cesser de voir le codage comme un métier, alors qu’il s’agit d’une compétence. Basée sur le raisonnement, la logique et stimulant la créativité. Ce n’est pas compliqué, les outils sont là, ludiques et accessibles pour les enfants. Voilà qui permettrait à la Belgique d’effectuer un bond de compétitivité et résoudrait à long terme un des soucis du marché de l’emploi.

Pourquoi cela ne “colle” pas?

Des personnes sans emploi. Et des emplois sans personne. Derrière cet apparent paradoxe du marché du travail se cache une double question.

La première est assez basique: si les demandeurs d’emploi ne peuvent répondre à cette offre de travail, c’est essentiellement faute de qualification. “C’est la base, assure Philippe Ledent. Notamment parce que la moitié d’entre eux ne disposent pas d’un diplôme du secondaire supérieur. La qualification constitue un énorme défi.

Il existe cependant un autre versant. Pourquoi le marché n’arrive-t-il pas à “absorber” cette main-d’œuvre non qualifiée? “Comme c’est davantage le cas aux États-Unis? Parce que nous sommes plutôt un pays à coût salarial élevé. Si la Belgique figure dans le peloton de tête des pays où la compétitivité est forte, ce n’est pas parce que le Belge est plus intelligent, mais parce que le travail à faible valeur ajoutée a été éliminé. Les métiers peu productifs ont été nettement plus robotisés ici qu’aux USA.

Que faire? “Travailler sur la qualification, estime l’économiste. Et rajouter une couche de flexibilité au système actuel. Sans tomber dans une flexibilité à tous crins qui n’est pas la voie à suivre, compte tenu des contraintes de la Belgique où la redistribution est forte. Il faudrait déjà cesser de fermer les yeux ou de réagir dans l’urgence, comme cela a été le cas avec ce système des 500 euros défiscalisés. Peut-être faudrait-il envisager un nouveau type de contrat flexible, pouvant se passer de la lourdeur administrative d’un statut social, mais respectant l’ensemble des règles, cotisations sociales en tête, compatible avec le statut de demandeur d’emploi et doté de plafonds, afin de ne pas cannibaliser les emplois salariés.

C’est ce qui s’appelle un ballon d’essai. 

Le Brabant Wallon, territoire apprenant?

“Aller dans l’action”: c’est le sens de cette initiative issue du Club of Brussels et du programme “Extrapreneurs” cornaqué par Michel de Kemmeter. Soutenue par la province du Brabant wallon et ses intercommunales, l’idée est de rassembler les forces vives du “BW” autour des “métiers de demain”. “Nous misons sur un modèle partagé, décentralisé de la formation professionnelle, explique Michel de Kemmeter. Des coachs, des tribus apprenantes et des entreprises, assistés par une plateforme en ligne. Quelque part, ce sera une forme d’Airbnb de la formation professionnelle.”

Le tout en tenant compte des caractéristiques du “BW”. “Tant ses forces, comme le nombre de travailleurs qualifiés, le taux d’emploi élevé, ses universités, ses terres fertiles ou encore sa vaste offre culturelle, que ses faiblesses, parmi lesquelles le transport et la mobilité”, détaille Michèle Pasture, qui pilotera le projet.

Projet dont les objectifs sont ambitieux: 25.000 personnes et 250.000 heures de cours par an. “Nous voulons générer une dynamique touchant des actifs dont le job va disparaître, des personnes ayant perdu leur emploi ou en burn-out, ou encore des jeunes en quête de sens. Et de voir s’il est possible de reproduire l’expérience, en l’adaptant aux spécificités d’autres territoires.”

À suivre sur extrapreneurs.org

Benoit Mathieu
Source: L’Echo

(English) Multisolutions for a sustainable system

Source : L’Echo
Translation : Club of Brussels

There remains only a decade to reduce our greenhouse gas emissions by 50% and avoid the word effects of global warming. However Belgium has opposed voting for the climate law which demands it takes up its international obligations. Thus it can be said that political quarrels and the economic interests of certain lobby groups violate our fundamental right to a functioning planet and those of generations to come.

A change of direction

Global warming is not the only environmental issue caused by human activity. There is also the destruction of biodiversity, dwindling ressources and environnemental pollution. These environmental emergencies demand demand a profound paradigme change, from the mode of production to consumption. The way of ‘running the household’, the economy, has to be questioned.

The environmental problems can be added to a list of societal issues that are as crucial. The job market has become more precarious and inequality is on the rise. The historical breadth of accumulated debt has made the financial system very vulnerable. The aging population, the changing nature of work, the renovation and construction of sustainable infrastructure bring forth large costs. The list is long.

These historical challenges cannot be resolved in a liner manner (one problem = one solution). We will have neither the time nor the money to do this. In contrast, we propose multiple solutions, systemic, that respond simultaneously to multiple issues, finally creating an ecosystem of solutions accelerating the learning curve and positive impact.

Instead of prohibiting, disincentivize

Based on the slowness and the hypocrisy of the politicians who are responsible, we imagined the measures that would need to be implemented. Based on our research and the expertises of our various profiles, we have built through collective intelligence several systemic solutions.

We suggest, for example, the introduction of a ‘green GDP’ as a new indicator of a country’s health and to lead politics in consequence: taxing ship fuel, plane fuel and other harmful components as well as production and importation relative of their carbon footprint. By building up on this powerful basis that is the voluntary modification of relative prices in order to internalise indirect effects – disincentivizing instead of prohibiting – allows renewable energies to prosper. For example, disincentivizing company cars will make a ‘mobility package’ more attractive.

In regards to agriculture, what appears to be the most important is to diminish subsidies of the PAC dedicated to chemical industrial agriculture and to support projects that favour local biodiversity, agro-ecology and the rehabilitation of degraded land. One of our experts developed in regards to this a model of local production of vegetable proteins. Experimented already in a distillery, re-planting as part of a crop rotation system demonstrates a return that is twice as effective as intensive agriculture. These methods create a useful and sensible labor. Produce very rich in protein could also directly feed the cattle and aquaculture industry.

Moving upstream

The reimbursement of preventive medicine by social security is equally a multiple solution. The free sessions and coaching aimed at individuals and groups on risk prevention will be both a social and financial gain : decrease in future costs linked to curative healthcare, better mental and emotional health, lessening of stress and burn-outs and improvements in employment.

Other examples of propositions: provide a cultural service of 6 months for those not working – after their studies – to facilitate their orientation, social inclusion, and to improve the innovation and the creativity of the youth, reduce isolation or even facilitate multi cultural and generational interaction, all while improving the skills and futures of job seekers. An annual reminder for the other generations could also be possible, with an emphasis on those 50+.

All of these propositions are systemic ; they resolve multiple problematic issues, costing less while being more effective. This is why we think that this methodology must become popular and used by policy makers.

But… There is an essential requirement for this to succeed: the projects have to be led by people who are authentic and in service of common progress, people who have begun to really work on their personal conscience. Otherwise everything will ring hollow, and at the first attempt the projects will stall.

 

Workshop participants : Sarah Zamoum, Theophile Lienhardt, Julie Verhulst, Christian Ghymers, Michel de Kemmeter, Michèle Pasture, Antoine Arnould, Benoît de Bellefroid, Sven Van Kerkhoven, Bruno Arnould, Thibault de La Motte.

Des multisolutions pour un système durable

Publié dans l’Echo le 23 juilet 2019
Read the English version

Il reste une décennie pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 50 % et éviter les pires effets du réchauffement planétaire. Pourtant, la Belgique s’est opposée à voter la loi climat qui ne faisait que reprendre les obligations internationales. Ainsi, les querelles politiques et les intérêts économiques de certains lobbys bafouent notre droit fondamental à une planète viable et l’avenir des générations futures.

Changement de cap

Le réchauffement climatique n’est pas la seule perturbation environnementale causée par l’activité humaine : destruction de la biodiversité, épuisement des ressources, pollution de l’environnement. Ces urgences environnementales nécessitent un changement profond de paradigme, de mode de production et de consommation. La façon de « gérer la maison», l’économie, est totalement à remettre en question.

Ces problèmes environnementaux s’ajoutent à une liste d’enjeux sociaux tout aussi cruciaux. Le marché du travail se précarise et les inégalités croissent. L’ampleur historique des dettes cumulées rend le système financier très vulnérable. Le vieillissement de la population, la mutation des métiers, la rénovation et la construction d’infrastructures durables engendreront d’énormes coûts. La liste est longue.

Ces enjeux historiques ne pourront pas être résolus de manière linéaire (un problème = une solution). Nous n’aurons ni le temps ni l’argent pour ce faire. A l’inverse, nous proposons des solutions multiples, systémiques, qui répondent simultanément à plusieurs enjeux, afin de créer un écosystème de solutions accélérant la courbe d’apprentissage et d’impact positif.

Désinciter plutôt qu’interdire

Constatant la lenteur et l’hypocrisie des responsables politiques, nous avons imaginé des mesures à faire implémenter. S’appuyant sur nos recherches et l’expertise de profils divers, nous avons construit en intelligence collective quelques solutions systémiques.

Nous suggérons, par exemple, l’introduction d’un “PIB vert” comme nouvel indicateur de la santé d’un pays et de mener des politiques en conséquence: taxation du carburant de navires, de l’aviation et autres composants nocifs ainsi que des productions et importations en fonction de leur trace carbone. S’appuyer sur ce formidable levier qu’est la modification volontariste des prix relatifs pour internaliser les effets indirects – désinciter plutôt qu’interdire – permettrait aux énergies renouvelables de prospérer. Par exemple, désinciter les voitures de société rendrait plus attractif un “pack mobilité”.

Par rapport à l’agriculture, il nous semble pressant de diminuer les subsides de la PAC dédiées à l’agriculture industrielle chimique et de soutenir les projets qui favorisent la biodiversité locale, l’agro-écologie et la régénération des terres. Un de nos experts développe à ce propos un modèle de production locale de protéines végétales. Expérimenté dans des distilleries, la re-plantation en système de rotation de légumineuses a démontré un
rendement deux fois plus important que l’agriculture intensive. Ces méthodes créent de la main d’oeuvre utile et sensée. Les produits hyper riches en protéine peuvent aussi directement nourrir l’industrie bétaillère et l’aquaculture.

Agir en amont

Le remboursement de la médecine préventive par la sécurité sociale est également une solution multiple. La gratuité des séances, du coaching individuel et de groupe sur la prévention des risques serait un gain financier et social : diminution des coûts ultérieurs liés aux soins de santé curatifs, meilleure santé mentale et émotionnelle, diminution du stress et des burn-outs, amélioration de la mise à l’emploi.

Autre exemple de proposition : instaurer un service culturel de 6 mois pour les non-actifs – après les études – pourrait faciliter l’orientation, l’inclusion sociale, améliorer l’innovation et la créativité des jeunes, réduire l’isolement ou encore faciliter l’interculturalité et l’intergénérationnel, tout en améliorant les compétences des futurs demandeurs d’emploi. Un rappel annuel pour les autres générations pourrait aussi être possible, avec l’accent sur les 50+.

Toutes ces propositions sont systémiques ; elles résolvent plusieurs problématiques de front, coûtent moins chers et sont plus efficaces. C’est pourquoi nous pensons que cette méthodologie doit devenir populaire et être utilisée par les décideurs politiques.

Mais… condition essentielle de réussite: ces projets doivent être portés par des personnes authentiques et au service du progrès commun, des personnes ayant démarré un vrai travail de conscience personnelle. Sinon le tout sonnera creux et, à la première épreuve, les projets seront bloqués.

Les participants au workshop : Sarah Zamoum, Theophile Lienhardt, Julie Verhulst, Christian Ghymers, Michel de Kemmeter, Michèle Pasture, Antoine Arnould, Benoît de Bellefroid, Sven Van Kerkhoven, Bruno Arnould, Thibault de La Motte.

(English) Pensions, professional training, climate – estimated at 9,000 billion for Belgium

Source : L’Echo
Translation : Club of Brussels 

Academics who have gathered together under the Club of Brussels and the Extrapreneurs incubator have identified 26 challenges that our country will have to solve within the coming decade. It seems like that the bill is going to be expensive.

Target 2030

This is the year that has been set by Michel de Kemmeter, expert in economic transition, founder of the think tank Club of Brussels, and associate professor at Vesalius College. He believes that until then, without having taken the necessary measures, we will have to resolve several problems at the same time: natural disasters, pensions, energy transition, cybersecurity, long-term absenteeism, etc. For 3 months, with the help of half a dozen people, mostly academics, Michel de Kemmeter identified 26 issues … and quantified them. It has never been done like this before. For this, he and his colleagues have examined all the available reports from institutions, think tanks, NGOs, business studies, etc. And the results are staggering: 9.000 billion euros, more than 20 times the annual GDP of Belgium. “It was a shock for us too,” he said immediately. “And all these issues are converging, and will explode simultaneously, most of them before 2030. This has never been seen before.”

Let’s take for example changes in work, due to the upheaval of the labor market caused by of technological innovations. “We are now facing the largest job training in history of humanity: two-thirds of jobs will radically change. How can 20 times more people than that are there today be trained?” Cost: 38.5 billion euros, based on an estimate conducted by Agoria.

Another example: the renovation of buildings, “millions of square meters of public real estate, most of it is obsolete, to be knocked down or renovated,” according to this former real estate investor. The cost of which: 2.250 billion euros, a calcuated amount based on data from the Board of Buildings and the Vlaamse milieumaatschappij.

Absenteeism, long-term illnesses, burnouts, etc. – the world of work is in turmoil. Cost: 297 billion euros, according to data from economists and institutions like Inami and Gallup.

We also find the cost of a financial crisis that has been predicted by many (15 billion in 2008, according to the Court of Accounts), poverty following the collapse of pensions (172.8 billion), the recovery of our biodiversity (3.360 billion for Belgium, according to Giec, WWF and Greenpeace), etc. “All these figures are can be criticised, admits Michel de Kemmeter, but the methodology is defensible. And again, we have been able to quantify only 90% of our stakes.”

A Historic Window

And yet, should we give up? No, says our expert who says he is optimistic for the first time since he returned to Belgium two years ago, after having deployed his ideas all over the world. “This is the first time that a historic window has opened up: power is really in the hands of people and their entrepreneurial creativity. Both business leaders and the political world are terrified by the magnitude of these issues. Some companies are already on the right track. Our expert mentioned Permafungi, who recovers coffee grounds to turn them into mushrooms and whose waste produces natural fertilizer; Pairi Daiza and its holistic approach to animal, plant, architectural and economic cohabitation, as well as the “circularity” of its waste management; Hello Fresh’s ensuring sustainability all along its value chain; Beescoop and its cooperative network.

And Michel de Kemmeter also points out some ideas brought forth by citizens that have worked abroad. In Saillans in France or in Bregenz in Austria, places where authorities and inhabitants develope projects hand in hand. Argentina in the 2000s (“where employees have taken over factories abandoned by investors”). Or the American city of Detroit, devastated by the 2008 crisis. “We see emerging communities returning to the earth, cleaning up their environment, but also providing security and education, in short, reorganizing from the ground up the vital functions of society. It is through shock that communal creativity awakens, this collaborative intelligence that responds to needs: to live, to eat, to educate, to communicate, etc.” And the shocks are there,  staring right at us in the face. Advice for the public: brainstorm !

Pensions, formations, climat… l’ardoise à 9.000 milliards pour la Belgique

Publié dans l’Echo le 29 juin 2019
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Des universitaires réunis autour du Club of Brussels et de l’incubateur Extrapreneurs ont identifié 26 enjeux que notre pays devra résoudre lors de la prochaine décennie. La facture risque d’être salée.

Objectif 2030

C’est l’année que s’est fixée Michel de Kemmeter, expert en transition économique, fondateur du think tank Club of Brussels et professeur associé au Vesalius College de la VUB. D’ici cette année-là, estime-t-il, faute d’avoir pris les mesures nécessaires, il faudra résoudre plusieurs problèmes en même temps: les catastrophes naturelles, les pensions, la transition énergétique, la cybersécurité, l’absentéisme longue durée… Pendant 3 mois, avec l’aide d’une demi-douzaine de personnes, universitaires pour la plupart, Michel de Kemmeter a identifié 26 enjeux… et les a chiffrés. Pour cela, lui et ses collègues ont épluché tous les rapports disponibles venant d’institutions, de centres de réflexion, d’ONG, d’études d’entreprises, etc. Et l’ardoise est énorme: d’ici 2030, il faudra rassembler 9.000 milliards d’euros, plus de 20 fois le PIB de la Belgique. “Ça a été un choc pour nous, pose-t-il d’emblée. Et tous ces enjeux sont en train de converger, et vont éclater simultanément, le tout pour la plupart avant 2030. C’est du jamais vu.”

Prenons la mutation des métiers, due au chamboulement du marché du travail à cause des innovations technologiques. “Nous sommes face au plus gros chantier de formation de l’histoire de l’humanité: deux tiers des métiers vont muter. Comment former 20 fois plus de personnes qu’aujourd’hui?” Dont coût: 38,5 milliards d’euros, selon une estimation basée sur une étude d’Agoria.

Autre exemple: la rénovation des bâtiments, “des millions de mètres carrés d’immobilier public, la plus grande partie est obsolète, à abattre ou à rénover”, dixit cet ancien pro de la brique. Dont coût, l’un des plus gros: 2.250 milliards d’euros, un montant calculé sur base des données de la Régie des bâtiments et de la Vlaamse milieumaatschappij.

L’absentéisme, les maladies de longue durée, les burn-outs,… le monde du travail est en ébullition. Dont coût: 297 milliards d’euros, selon des données d’économistes et d’institutions comme l’Inami et Gallup.

On y retrouve aussi le coût d’une crise financière que beaucoup prédisent (15 milliards en 2008, selon la Cour des comptes), la pauvreté suite à l’effondrement des pensions (172,8 milliards), le redressement de notre biodiversité (3.360 milliards pour la Belgique, selon le Giec, WWF et Greenpeace), etc. “Tous ces chiffres sont critiquables, admet Michel de Kemmeter, mais la méthodologie est défendable. Et encore, nous n’avons pu chiffrer que 90% de nos enjeux.”

Une fenêtre historique

Et pourtant, doit-on baisser les bras? Non, répond notre expert qui se dit optimiste pour la première fois depuis qu’il a redéposé ses valises en Belgique il y a deux ans, après avoir déployé ses idées partout dans le monde. “C’est la première fois qu’une fenêtre historique s’ouvre à ce point: le pouvoir est vraiment dans les mains des gens et de leur créativité entrepreneuriale. Tant les dirigeants d’entreprise que le monde politique sont terrifiés devant l’ampleur de ces enjeux multiples.” Certaines entreprises sont sur la bonne voie. Notre expert cite Permafungi, qui récupère les marcs de café pour les transformer en champignons et dont les déchets fabriquent de l’engrais naturel; Pairi Daiza et son approche holistique de cohabitation animale, végétale, architecturale et économique, ainsi que la “circularité” de ses déchets; Hello Fresh qui assure la durabilité tout le long de toute sa chaîne de valeurs; Beescoop et ses coopératives de distribution.

Et Michel de Kemmeter de pointer également quelques idées citoyennes qui marchent à l’étranger. À Saillans en France ou à Bregenz en Autriche, où autorités et habitants développent leurs projets main dans la main. L’Argentine des années 2000 (“où des employés ont repris en coopératives les usines abandonnées par les investisseurs”). Ou encore la ville américaine de Detroit, ravagée par la crise de 2008. “On y voit des communautés émergentes qui retournent à la terre, assainissent leur environnement, mais qui assurent aussi la sécurité, l’éducation, bref qui réorganisent à partir du terrain les fonctions vitales de la société. C’est dans les chocs que la créativité des communautés se réveille, cette intelligence collaborative répond aux besoins: habiter, manger, s’éduquer, communiquer, etc.” Et les chocs sont là, qui nous pendent au nez. Avis à la population: faites tourner les méninges!

Serge Quoidbach
Rédacteur en chef adjoint
Source: L’Echo

 

(English) Michel de Kemmeter “We have to stop with these subsidised micro-solutions”

Source : L’Echo
Translation : Club of Brussels

9,000 billion is a huge number! How can we deal with this challenge?

We no longer have the choice: we can no longer think in this linear way of finding a solution for every issue. With that in mind, traditional economic thought and our political leaders who offer subsidised micro-solutions are destined to fail.

What new paradigm should we follow?

Only one science can help us: “systemic” science. To put it simply, everyone brings one or more “multi-solutions”, that is to say solutions that answer several issues at the same time. For example, we do not need ecological agriculture. We need an ecological agriculture that leads to training, includes young people in difficulty, creates social bonds, structures short circuits, regenerates biotopes, etc.

There has to be a change in mentality. How is it done?

Humans reacts only in the face of a shock, where they are faced with an obligation to react. Today, in Belgium, we are not there yet. We are doings things that are nice, but very local. We are not doing it at the right scale.

Is there a methodology to follow?

Everyone must become a new entrepreneur: in his life, in his job, in his future. We come from a world where the welfare state cares for everyone. Soon, we will not have this luxury anymore. Personal accountability is the key. Everyone will have to be aware of the issues but also of their own qualities that are lying dormant. Our region has one of the lowest entrepreneurship rates in the world. While we are going to need to be 100% entrepreneurs, on a collective scale. We must stop believing that the ball is in the court of politics, they will have to be played with as much as corporations.

Are you pushing for collaborative democracy?

Very much so. It will be necessary to rethink territorial governance, and to rethink the implications of companies and individuals. There have been some very inspiring examples that we must be on the lookout for. In Saillans in France, the citizens squatted the town hall, and the mayor and his team finally implemented the demands of the citizens. In Bregenz, they have initiated the “Office of Future-related Issues” for citizens. All the solutions are there! We have combined and superimposed twenty examples and developed an effective roadmap. We are now testing it at a small scale, in the province of Brabant Wallon.

Are other parts of the world more open-minded?

I stopped travelling two years ago to focus on Belgium. But now, we have been approached by several other territories. North Africa, for example, has a culture based on collaboration, between families and so on. Latin American cultures are well connected to their land, their territory and their communities, they are fundamentally oriented towards the collaborative and contributive economy. Same goes for some Asian countries too, like Bali. A while back in Rwanda, citizens had to spend 10% to 15% of their time in service of the community, creating a common cultural wealth. Certain countries in Latin America, Asia and Africa are experiencing very strong growth. What is interesting is that these countries do not want to make the same mistakes as the West, by destroying the environment and the people.

Michel de Kemmeter “Il faut arrêter avec ces micro-solutions subsidiées”

Publié dans l’Echo le 29 juin 2019
Read the English version

9.000 milliards, c’est un chiffre énorme! Comment pouvons-nous faire face à ce défi?

On n’a plus le choix: on ne peut plus penser de cette manière linéaire qui consiste à trouver une solution pour chaque enjeu. Avec ce constat, on met échec et mat la pensée économique traditionnelle et nos dirigeants politiques qui proposent des micro-solutions subsidiées.

Quel nouveau paradigme devons-nous suivre?

Une seule science peut nous aider: la science “systémique”. Pour faire simple, chacun amène une ou plusieurs multi-solutions, c’est-à-dire des solutions qui répondent à plusieurs enjeux en même temps. Par exemple, il ne nous faut pas une agriculture écologique. Il nous faut une agriculture écologique qui développe la formation, inclut des jeunes en difficulté, crée du liant social, structure des circuits courts, régénérant les biotopes, etc.

Il faut passer par un changement de mentalité. Comment fait-on?

L’être humain ne réagit que face à un choc, face à une obligation de réagir. Aujourd’hui, en Belgique, on n’y est pas encore. On fait des choses sympathiques, mais très locales. On n’est pas du tout à la bonne échelle.

Y a-t-il une méthodologie à suivre?

Chacun doit devenir un nouvel entrepreneur: de sa vie, de son job, de son avenir. Alors qu’on vient d’un monde où l’État-providence s’occupe de tout le monde. Bientôt, on n’aura plus ce luxe. La clé, c’est la responsabilisation personnelle. Tout le monde devra être conscient des enjeux mais aussi de ses propres qualités dormantes. Notre territoire a un taux d’entrepreneuriat parmi les plus bas du monde. Alors qu’il nous faudra 100% d’entrepreneurs, et collectivement. Il faut arrêter de croire que la balle est dans le camp des politiques, il faudra jouer avec eux, ainsi qu’avec les entreprises.

Vous prônez la démocratie collaborative?

Notamment. Il faudra repenser la gouvernance territoriale, repenser l’implication des entreprises et des individus. Il y a des expériences très inspirantes et qu’il faut aller chercher. En France, à Saillans, les citoyens ont squatté la mairie, finalement le maire et son équipe exécutent la volonté des citoyens. À Bregenz, ils ont démarré l’Office of Future-related Issues citoyenne. Toutes les solutions sont là! Nous avons croisé et superposé une vingtaine d’exemples et avons développé une feuille de route efficace. Nous sommes en train de la tester sur une petite échelle, au niveau de la province du Brabant Wallon.

D’autres régions du monde sont-elles plus ouvertes?

J’ai arrêté de voyager il y a deux ans, pour me concentrer sur la Belgique. Mais maintenant, nous sommes courtisés par plusieurs autres territoires. L’Afrique du Nord a, dans sa culture, la collaboration avec les autres, entre les familles, etc. L’Amérique Latine et Centrale est attachée à la terre, au territoire et aux communautés, ils ont un ADN orienté vers l’économie collaborative et contributive. Certains pays d’Asie aussi, à Bali notamment. Au Rwanda, à l’époque, les citoyens devaient passer 10% à 15% de leur temps au service de la communauté, créant dès lors une richesse culturelle commune. Certains pays d’Amérique Latine, d’Asie, d’Afrique sont en très forte croissance. Ce qui est intéressant, c’est que ces pays ne veulent pas faire les mêmes erreurs que l’Occident, où on a détruit l’environnement et les êtres humains.