Le Soir Plus – Le monde «d’après»: «Collaborons pour anticiper la prochaine vague»

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Par Michel De Muelenaere
Journaliste au service Société

Pour l’économiste Michel de Kemmeter il faut remailler la société et l’économie en partant du niveau local. « Notre survie dépend de notre capacité à collaborer ».

Entretien

Un monde « d’après » différent du monde d’avant ? Les appels se multiplient dans l’espace francophone. Mais il n‘est pas aisé de formuler des propositions ou un projet concrets qui fasse droit à toute la complexité et à toutes les nuances du problème actuel. L’économiste Michel de Kemmeter s’y attelle avec ses « Wise circles ». Précisions sur la démarche qu’il tente de pousser dans les cercles politiques notamment. Sans optimisme béat…

Ne pas revenir « à la normale »… Pensez-vous que ce message soit entendu par les responsables qui prennent aujourd’hui les décisions ?

Pour être tout à fait franc, il flotte déjà une odeur d’élections et il n’y a pas de réelle vision à moyen terme de la société et de l’économie. Tout le monde essaie de sauver les meubles. On peut comprendre, mais c’est une vision « en tunnel ». Alors que tous les voyants sont au rouge, on se limite aux urgences et on manque d’une intelligence

Le monde «d’après»: «Collaborons pour anticiper la prochaine vague» – Le Soir Plus d’ensemble permettant d’analyser la complexité de tous les signaux

qui nous sont envoyés à l’occasion de la crise et surtout de trouver des solutions.

Gérer l’urgence, réfléchir à un autre avenir… Possible, simultanément ?

Oui, c’est notamment le travail des centres d’études des partis politiques. Mais pour y arriver, il faut créer, sur la durée, une forme d’intelligence collective associant les politiques, les citoyens et les entreprises.

Mais tout le monde veut-il vraiment un monde différent ?

Il est clair que certains n’ont pas envie. Demander à certaines instances de changer le système, c’est un peu comme si on demandait à une dinde de voter en faveur de Noël ! C’est signer pour sa propre sortie… Mais deux sortes de gens, d’entreprises et d’institutions sortiront de cette crise. D’une part, ceux qu’animera la peur de perdre l’existant. D’autre part, ceux qui n’auront pas peur, qui verront dans la crise une invitation à muter, à s’ouvrir à quelque chose de nouveau. On ne pourra pas forcer le premier groupe ; il ne fera pas partie de ce nécessaire travail d’expérimentation. Ces gens-là – qui représentent la majorité, je ne me fais pas d’illusion – vont suivre celui qui leur racontera une bonne histoire rassurante. Mais si, de l’autre côté, 10 à 15 % sont convaincus, cela suffira à créer un basculement. Ceux-là se posent les bonnes questions, ils ont fait leur choix philosophique de vie, pas de peur. Ils voient dans la crise un signal fort pour repenser leur business, leur mode de vie. Ils feront le choix de l’autonomie au lieu de la dépendance.

Vous retrouvez ces vrais convaincus parmi les décideurs, politiques, de fédérations d’entreprises, de syndicats ?

Le monde «d’après»: «Collaborons pour anticiper la prochaine vague» – Le Soir Plus
Il y a des gens merveilleux qui se posent ces questions et qui sont

informés. Mais eux aussi doivent se battre, ils ne pèsent pas encore suffisamment. Et au « sommet », cela ne percute pas encore.

Que faire ?

D’abord, il ne faut pas perdre de temps. Ensuite, il faut s’occuper des urgences. Pour suivre, nous devons repenser les choses en profondeur. Et c’est au niveau local qu’il faut agir : les communes, certaines intercommunales, les provinces. C’est là qu’on va remailler les choses et créer de la résilience. D’abord, il faut ouvrir un espace de travail physique copiloté par le public et le privé. Un endroit où on va mettre tout le monde ensemble pour réfléchir à la transition : entreprises, citoyens, politiques. On fait l’état des lieux des urgences sur les fonctions vitales et sur la société, sur les dangers de choc à venir. On identifie les ressources disponibles et celles dont on a besoin. L’étape suivante est d’imaginer des projets qui répondent à plusieurs de ces enjeux à la fois et apportent des multisolutions. Cela peut porter sur l’énergie, les déchets, le logement durable, l’alimentation, la formation… Enfin, lorsqu’on a imaginé un projet, on va chercher ailleurs ce qui se fait de mieux et on s’en inspire. Il y a des dizaines de multisolutions ailleurs dans le monde dont on peut apprendre humblement. Elles ne demandent qu’à être copiées. On lutte aussi contre l’angoisse en montrant des solutions concrètes qui fonctionnent ailleurs.

Mais encore ?

Commençons par 6-7 projets pilotes dans 3 à 6 communes flamandes, bruxelloises et wallonnes. On peut le faire, cela ne coûte pas cher et d’ici Noël, on marque l’histoire, en testant les solutions sur le terrain, en prouvant qu’il y a moyen de remailler l’économie localement. Ces exemples créent de l’intelligence de façon exponentielle, cela fait parler tout le monde avec tout le monde et cela permet de lancer d’autres projets créant du lien et apportant des multisolutions. Parallèlement à cela, on crée à Bruxelles un centre d’excellence sur la transition.

Et si on n’y arrive pas ?

Ceux qui veulent revenir à la situation antérieure vont se réveiller avec une solide gueule de bois. Et ça commence la semaine prochaine ! On risque une rupture de la paix sociale. C’est très grave ; c’est déjà arrivé au Chili, en France au Venezuela, en Grèce. Les joyeusetés ne font que commencer, sachons-le. On sait que ça va être difficile dans les dix prochaines années. A la prochaine vague, on boira tous la tasse. Par la faim, la soif, la rupture de la paix sociale ou de la paix dans les familles. Plus on attend, plus ce sera douloureux. On peut aller vers un effondrement par étapes. Nous sommes dans une mutation historique, jamais vue en Occident et il faut savoir anticiper les vagues. Ce n’est qu’en collaborant qu’on va pouvoir survivre et qu’on va pouvoir traverser ces épreuves. C’est un défi énorme : nous n’avons jamais été aussi divisés alors que notre survie dépend de notre capacité à collaborer.

Pas trop de raisons d’être optimiste, donc…

On ne change souvent qu’en cas de choc. Ce choc-ci a mis en mouvement des gens qui auront pris conscience et se seront posé des questions. Sur leur travail, leur entreprise, leur mode de vie… Cela permettra peut-être une remise en cohérence de l’individu face à sa propre vie. Il faut savoir que nous sommes les héros de nos propres vies et que tout le monde a un impact. Ce n’est pas l’état fédéral qui va nous dire « réveillez-vous et regardez la lumière ». Le changement dépendra de notre propre leadership individuel et collectif et de notre propre humilité.

Le Soir – Ces groupes informels qui pensent l’après-crise

Publié dans le Soir le 29 juin 2019
Par Michel De Muelenaere

Certains gèrent. D’autres préparent la sortie de crise. D’autres réfléchissent au « monde d’après ». Ces derniers jours, les visioconférences s’enchaînent, les échanges de mails s’intensifient. En une sorte de « festival off » en marge des structures officielles, différents groupes ont entamé une réflexion sur ce qui devrait sortir de l’urgence actuelle. Un point commun : réfléchir à long terme et surtout plaider pour qu’on ne revienne pas à la normale. « A l’anormale », corrige un des penseurs…
 
« On a en tout cas tous été pris de court » : personne, dans ces instances très organiques, n’ose prétendre avoir vu venir la pandémie. Tous estiment qu’elle met en évidence des fragilités et des failles du système à corriger d’urgence. Si certains ont choisi une démarche très « autocentrée », d’autres espèrent peser dans la balance politique. « Tout le monde est perdu à tous les niveaux, dit un économiste. Aucun des scénarios étudiés jusqu’à présent n’est aussi impactant et disruptif que ce que promet le coronavirus. Nul n’est capable de dire vers où on va aller ». Sur la sortie, l’optimisme est mesuré : « Il va y avoir une pression terrible pour une relance classique qui remette en selle de modèle économique dominant », dit un des participants.
 
L’initiative la plus cadrée appartient au regroupement des grandes fédérations et ONG environnementales francophones et flamandes. Leur message  : la relance doit viser « une économie résiliente, équitable et durable, en accord avec la neutralité carbone, la circularité et la préservation de la biodiversité ». Les ONG demandent « qu’une délégation des mouvements environnementaux soit impliquée dans l’élaboration de la politique de relance ». Elles n’ont reçu aucune réponse. Il faut revenir rapidement à la charge avec des propositions plus concrètes, dit Antoine Lebrun, patron du WWF Belgique. Mais la concertation est partout compliquée : un groupe d’une vingtaine de chefs d’entreprise, d’économistes et de consultants cherche encore sa voie autour de Jacques Crahay, le patron de l’Union wallonne des entreprises. On ne sait encore si, comme certains de ses membres le souhaitent, ce groupe au départ ironiquement baptisé « les imposteurs » saisira l’opportunité de réfléchir à la crise et à ses leçons. Ni s’il formulera des propositions.
 
Plus concrètes en revanche, les réflexions qui percolent autour de Kaya, une coalition de 175 entrepreneurs de l’économie durable. A l’initiative de certains d’entre eux, Marc Lemaire (Ecores) et Frédéric Chomé (Usitoo), une quinzaine d’académiques participent à une réflexion qui devrait déboucher en fin de semaine sur une trentaine de propositions. « Comment sortir rapidement et au mieux de cette crise sanitaire qui est devenue sociale et économique sans réalimenter les défauts du système qui y ont contribué ? », s’interroge ce groupe où l’on retrouve les économistes Géraldine Thiry, Isabelle Cassiers et Etienne De Callataÿ, aux côtés de Jean-Pascal van Ypersele, François Gemenne, Olivier de Schutter, de la sociologue Isabelle Ferreras, du philosophe Marek Hudon et de la juriste Delphine Misonne… Les inspirateurs voudraient que le gouvernement nomme un « Resilience management group » auquel ils participeraient. Ils viennent avec des positions chocs : « Une hypothèse croissance zéro pour démarrer le monde de demain ; transformer la société, pas répliquer ce qu’on a déjà fait », tranche Chomé.
 

Changer de cap

« Par la force des choses, cette crise nous oblige à changer de cap », insiste Géraldine Thiry. « Nous apportons une voix cohérente, construite, assise sur des recherches académiques. » Seule une transformation profonde permettra d’éviter l’effondrement, plaide-t-on. Certes, des mesures économiques d’aide aux victimes sont indispensables, mais il faudra ensuite éviter d’aider des « activités boiteuses », ayant un impact négatif sur la santé et l’environnement et encourager les secteurs bénéfiques à la santé et à l’environnement.
 
Les cercles Wise, pilotés par l’économiste Michel de Kemmeter ont quant à eux opté pour une approche systémique de la crise et des futures dans une vingtaine de pages en phase de test auprès des partis politiques. « Ce qui se passe n’est pas juste une crise sanitaire ou financière », dit de Kemmeter. « Cela a touché plein d’espaces de notre vie qui seront changés pour toujours. Voici un premier avertissement : il y en aura d’autres. Comment allons-nous gérer tout cela simultanément sur dix ans ? Il faut d’abord se réancrer au niveau local, à l’échelle des villes, des provinces, des bassins. Remailler l’économie localement pour remplir les fonctions vitales de la société : un habitat durable, une nourriture saine, une mobilité efficace, l’éducation… » Pour l’économiste, « la crise du Covid a révélé les incohérences de notre système. Qu’est-ce qu’on remet droit désormais ? »
 
Plus discret encore, un « conseil naturel de la résilience » lancé par des proches d’Ecolo et d’Extinction Rebellion avant la crise oriente ses réflexions et y associe des académiques sur des aspects précis de celle-ci comme un appel à améliorer la sécurité alimentaire de notre pays. Du côté du réseau « Mycélium », proche des milieux de la transition, de la collapsologie et de l’écologie politique, la crainte du retour au monde d’avant règne également. La réflexion « Time to breathe » (un temps de respiration) implique près de 500 Belges, Français et Suisses, explique Vincent Wattelet, l’un de ses initiateurs. Les premières réunions ont passé par un moment d’introspection – mesurer et exprimer l’impact des bouleversements sur ses propres émotions – mais ont aussi servi à remettre en avant et reformater des projets locaux existants : « s’améliorer en interne » étant une manière de « faire évoluer le monde extérieur ».
 
« Partout, les lignes se refont », dit un participant aux réflexions. « Il ne faut pas se faire d’illusion sur l’écoute qu’auront ces mouvements. Mais c’est le moment de porter des idées innovantes. Après on risque d’arriver trop tard ».
 
La danse du ventre des consultants
 
X.C. et J-F.M.
 
Comme l’économie tourne au ralenti, les carnets de commandes des grands cabinets de consultance sont moins garnis qu’à l’accoutumée. Mais les traditionnels PwC, BCG, Deloitte ou McKinsey ont vite compris qu’il y avait quelques opportunités à saisir autour du coronavirus. Plusieurs témoins nous ont assuré qu’ils proposaient même leurs services gratuitement à différents groupes de travail qui gèrent la crise. « Ils sont déjà présents à tous les étages », assure un membre de ces task forces. « Ils font ça avec un mélange d’engagement sociétal et d’un plus cynique investissement pour l’avenir », ajoute un autre.
 
Le Soir a pu mettre la main sur une présentation de McKinsey datée du 8 avril, consacrée au déconfinement. Elle est sous-titrée « discussion avec le GEES » (le groupe déconfinement). Lors de la deuxième réunion de ce groupe fraîchement constitué par Sophie Wilmès, une présentation de McKinsey était donc prête. En feuilletant les slides, rien de révolutionnaire. On y trouve l’idée qu’il faudrait notamment tenir compte de la contribution des secteurs au PIB pour décider de qui on déconfine en premier lieu. Dans les entreprises où le télétravail est possible, McKinsey imagine aussi une reprise où seul un travailleur sur deux (ou sur trois) peut se rendre au bureau, avec des heures de table décalées. On notera, pour l’anecdote, que le consultant fait l’hypothèse d’un confinement de huit semaines, avant ouverture progressive des vannes.
 
Le cabinet du ministre en charge de l’approvisionnement en matériel médical, Philippe De Backer, travaille également « avec quelques consultants qui jouent tous un rôle essentiel » dans ses task forces ». Il s’agit d’experts en données, de spécialistes des achats, de communicateurs de crise… Il explique aussi avoir fait appel à un « grand bureau de consultance » sans dévoiler son nom. Selon nos informations, il s’agit de Deloitte. S’ils étaient omniprésents dans le « monde d’avant », ces consultants semblent avoir déjà réussi à conserver une place de choix dans celui d’après.

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