(English) Michel de Kemmeter “We have to stop with these subsidised micro-solutions”

Source : L’Echo
Translation : Club of Brussels

9,000 billion is a huge number! How can we deal with this challenge?

We no longer have the choice: we can no longer think in this linear way of finding a solution for every issue. With that in mind, traditional economic thought and our political leaders who offer subsidised micro-solutions are destined to fail.

What new paradigm should we follow?

Only one science can help us: “systemic” science. To put it simply, everyone brings one or more “multi-solutions”, that is to say solutions that answer several issues at the same time. For example, we do not need ecological agriculture. We need an ecological agriculture that leads to training, includes young people in difficulty, creates social bonds, structures short circuits, regenerates biotopes, etc.

There has to be a change in mentality. How is it done?

Humans reacts only in the face of a shock, where they are faced with an obligation to react. Today, in Belgium, we are not there yet. We are doings things that are nice, but very local. We are not doing it at the right scale.

Is there a methodology to follow?

Everyone must become a new entrepreneur: in his life, in his job, in his future. We come from a world where the welfare state cares for everyone. Soon, we will not have this luxury anymore. Personal accountability is the key. Everyone will have to be aware of the issues but also of their own qualities that are lying dormant. Our region has one of the lowest entrepreneurship rates in the world. While we are going to need to be 100% entrepreneurs, on a collective scale. We must stop believing that the ball is in the court of politics, they will have to be played with as much as corporations.

Are you pushing for collaborative democracy?

Very much so. It will be necessary to rethink territorial governance, and to rethink the implications of companies and individuals. There have been some very inspiring examples that we must be on the lookout for. In Saillans in France, the citizens squatted the town hall, and the mayor and his team finally implemented the demands of the citizens. In Bregenz, they have initiated the “Office of Future-related Issues” for citizens. All the solutions are there! We have combined and superimposed twenty examples and developed an effective roadmap. We are now testing it at a small scale, in the province of Brabant Wallon.

Are other parts of the world more open-minded?

I stopped travelling two years ago to focus on Belgium. But now, we have been approached by several other territories. North Africa, for example, has a culture based on collaboration, between families and so on. Latin American cultures are well connected to their land, their territory and their communities, they are fundamentally oriented towards the collaborative and contributive economy. Same goes for some Asian countries too, like Bali. A while back in Rwanda, citizens had to spend 10% to 15% of their time in service of the community, creating a common cultural wealth. Certain countries in Latin America, Asia and Africa are experiencing very strong growth. What is interesting is that these countries do not want to make the same mistakes as the West, by destroying the environment and the people.

Michel de Kemmeter “Il faut arrêter avec ces micro-solutions subsidiées”

Publié dans l’Echo le 29 juin 2019
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9.000 milliards, c’est un chiffre énorme! Comment pouvons-nous faire face à ce défi?

On n’a plus le choix: on ne peut plus penser de cette manière linéaire qui consiste à trouver une solution pour chaque enjeu. Avec ce constat, on met échec et mat la pensée économique traditionnelle et nos dirigeants politiques qui proposent des micro-solutions subsidiées.

Quel nouveau paradigme devons-nous suivre?

Une seule science peut nous aider: la science “systémique”. Pour faire simple, chacun amène une ou plusieurs multi-solutions, c’est-à-dire des solutions qui répondent à plusieurs enjeux en même temps. Par exemple, il ne nous faut pas une agriculture écologique. Il nous faut une agriculture écologique qui développe la formation, inclut des jeunes en difficulté, crée du liant social, structure des circuits courts, régénérant les biotopes, etc.

Il faut passer par un changement de mentalité. Comment fait-on?

L’être humain ne réagit que face à un choc, face à une obligation de réagir. Aujourd’hui, en Belgique, on n’y est pas encore. On fait des choses sympathiques, mais très locales. On n’est pas du tout à la bonne échelle.

Y a-t-il une méthodologie à suivre?

Chacun doit devenir un nouvel entrepreneur: de sa vie, de son job, de son avenir. Alors qu’on vient d’un monde où l’État-providence s’occupe de tout le monde. Bientôt, on n’aura plus ce luxe. La clé, c’est la responsabilisation personnelle. Tout le monde devra être conscient des enjeux mais aussi de ses propres qualités dormantes. Notre territoire a un taux d’entrepreneuriat parmi les plus bas du monde. Alors qu’il nous faudra 100% d’entrepreneurs, et collectivement. Il faut arrêter de croire que la balle est dans le camp des politiques, il faudra jouer avec eux, ainsi qu’avec les entreprises.

Vous prônez la démocratie collaborative?

Notamment. Il faudra repenser la gouvernance territoriale, repenser l’implication des entreprises et des individus. Il y a des expériences très inspirantes et qu’il faut aller chercher. En France, à Saillans, les citoyens ont squatté la mairie, finalement le maire et son équipe exécutent la volonté des citoyens. À Bregenz, ils ont démarré l’Office of Future-related Issues citoyenne. Toutes les solutions sont là! Nous avons croisé et superposé une vingtaine d’exemples et avons développé une feuille de route efficace. Nous sommes en train de la tester sur une petite échelle, au niveau de la province du Brabant Wallon.

D’autres régions du monde sont-elles plus ouvertes?

J’ai arrêté de voyager il y a deux ans, pour me concentrer sur la Belgique. Mais maintenant, nous sommes courtisés par plusieurs autres territoires. L’Afrique du Nord a, dans sa culture, la collaboration avec les autres, entre les familles, etc. L’Amérique Latine et Centrale est attachée à la terre, au territoire et aux communautés, ils ont un ADN orienté vers l’économie collaborative et contributive. Certains pays d’Asie aussi, à Bali notamment. Au Rwanda, à l’époque, les citoyens devaient passer 10% à 15% de leur temps au service de la communauté, créant dès lors une richesse culturelle commune. Certains pays d’Amérique Latine, d’Asie, d’Afrique sont en très forte croissance. Ce qui est intéressant, c’est que ces pays ne veulent pas faire les mêmes erreurs que l’Occident, où on a détruit l’environnement et les êtres humains.

Aperçu : Climat, pensions, jobs… Coût de 9.000 milliards pour la Belgique

Publié dans l’Echo le 29 juin 2019

Des experts ont identifié 26 enjeux que le pays doit résoudre coûte que coûte. L’ardoise est salée.

2030. C’est la deadline que s’est fixée Michel de Kemmeter, expert en transition économique et fondateur du think tank Club of Brussels. D’ici-là, estime-t-il, faute d’avoir pris les mesures nécessaires, il faudra résoudre plusieurs problèmes en même temps: catastrophes naturelles, pensions, transition énergétique, cybersécurité, absentéisme longue durée… Il a identifié 26 enjeux, les a chiffrés. Et l’ardoise est énorme: d’ici 2030, il faudra rassembler 9.000 milliards d’euros, plus de 20 fois le PIB de la Belgique. “Tous ces enjeux sont en train de converger, et vont éclater simultanément, le tout pour la plupart avant 2030. C’est du jamais vu.” Et de citer le chamboulement du marché du travail à cause des innovations technologiques. “Deux tiers des métiers vont muter. Comment former 20 fois plus de personnes qu’aujourd’hui?” Dont coût: 38,5 milliards d’euros.

Autre exemple: la rénovation des bâtiments, “des millions de mètres carrés d’immobilier public, la plus grande partie est obsolète, à abattre ou à rénover”. Dont coût, l’un des plus gros: 2.250 milliards d’euros. L’absentéisme, les maladies de longue durée, les burn-outs: 297 milliards d’euros. Et ainsi de suite…

Doit-on baisser les bras? Non, répond l’expert qui se dit optimiste pour la première fois depuis qu’il a redéposé ses valises en Belgique il y a deux ans. “C’est la première fois qu’une fenêtre s’ouvre à ce point: le pouvoir est vraiment dans les mains des gens et de leur créativité entrepreneuriale. Tant les dirigeants d’entreprise que le monde politique sont terrifiés devant l’ampleur de ces enjeux multiples.” Et de conclure: “On n’a plus le choix: on ne peut plus penser de cette manière linéaire qui consiste à trouver une solution pour chaque enjeu. Avec ce constat, on met échec et mat la pensée économique traditionnelle et nos dirigeants politiques qui proposent des micro-solutions subsidiées.”

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La créativité au service de notre monde surendetté

Publié dans l’Echo le 19 juin 2019

Les dettes mondiales n’ont jamais atteint de telles proportions :  elles sont passées de 80 à 287 trillions de dollars en moins de 20 ans. Le PIB mondial étant d’environ USD 80 trillions, la situation est devenue insoutenable. Cette instabilité est renforcée par le fait que la qualité des débiteurs s’est détériorée et que 68% de ces dettes sont en dollars, alors que seulement 47% des échanges mondiaux se font dans cette devise.

Ces dettes exorbitantes – publiques et privées – ne prennent pas en compte les coûts qu’engendreront le vieillissement de la population, les soins de santé, l’entretien des bâtiments publics, la formation aux métiers de demain ou la dette environnementale, qui est de surcroît une dette également non monétaire.

Anticiper les crises systémiques

Nous sommes de facto dans une situation fragile, à un moment charnière, potentiellement à l’aube de crises systémiques. Ces défis historiques ne pourront pas être résolus par quelques réformes isolées. L’ampleur des dettes cumulées nécessite l’avènement de solutions diamétralement différentes et d’une triple prise de conscience des citoyens, des entreprises et des gouvernements. Ce moment historique nécessitera l’implication de tous pour réinventer un consensus social.

Bien sûr, il existe une grande disparité entre les pays : les dettes souveraines des pays de l’OCDE représentent 110% de leur PIB (102% pour la Belgique) alors qu’elles ne représentent que 50% du PIB des pays émergents. Les responsabilités ne sont pas non plus partagées de manière équitable : les 10% les plus riches de la population mondiale génèrent la moitié des émissions de CO2 alors que les 50% les plus pauvres n’en émettent que 10%.

Gérer différemment la chose publique

Une des multi-solutions pourrait être d’organiser l’échange de permis d’émission de CO2 par habitant entre le Nord et le Sud en fonction de la capacité d’absorption totale de la planète. La formation d’un prix de marché du CO2 internaliserait ses effets néfastes et rendrait rentable les énergies alternatives. L’utilisation des recettes des ventes des permis du Sud permettrait de résoudre le financement d’une accélération du développement durable des pays du Sud.

De manière générale, le fonctionnement même de la gouvernance est à bouleverser : plus d’efficience, de cohérence, de visions sur le long terme et de démocratie participative. L’Histoire démontre que l’Humanité est capable de surmonter des grands enjeux lorsqu’elle y est acculée. La nécessité engendre la créativité, l’innovation et la participation de chacun.

Sensibiliser et impliquer les citoyens

La mobilisation des jeunes pour le climat démontre que la société civile n’aspire qu’à exprimer des solutions cohérentes et des alternatives durables. De plus en plus de citoyens prennent conscience qu’une croissance infinie dans une planète dont les richesses sont finies est impossible. Pour sensibiliser le citoyen, il nous semble pertinent de le responsabiliser de manière participative et ludique.

Nous suggérons également que les initiatives citoyennes positives soient plus largement diffusées. Des îlots de résilience se créent sous les radars : circuits courts, monnaies locales, coopératives. Dans les périodes de crash, nous avons une tendance instinctive à l’entraide et à la coopération, contrairement à la croyance selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme.

L’entreprise de demain

Plus de 60 % des émissions dommageables à l’environnement est imputable au processus de production.  Les entrepreneurs ont leur responsabilité et doivent contribuer positivement aux enjeux multiples. L’entreprise de demain ? Une philosophie de l’économie qui s’oppose à l’individualisme et à l’accumulation. Le principal capital productif est humain : connaissances, expertise, savoir-faire, valeurs intangibles.

Cette vision change la donne à plusieurs égards. La formation est dès lors pensée pour valoriser ce potentiel : culture, pédagogie alternative, éducation permanente et participative. Il est également essentiel de trouver un nouvel équilibre entre l’humain et la technologie. En fait, les entreprises doivent anticiper et se baser sur la coopération en s’inspirant des neurosciences, du biomimétisme, à l’image de la vie elle-même. Cela permettra la relance et la création de métiers porteurs de sens.

On ne résout pas un problème avec les recettes qui l’ont engendré  

L’ampleur des dettes cumulées et l’urgence climatique démontrent l’insoutenabilité de notre modèle économique. Le moment est historique. A nous de nous mobiliser collectivement. La participation collective et l’intelligence citoyenne généreront les solutions intelligentes nécessaires. Finalement, le vrai moteur d’une société saine est l’action de citoyens motivés et amoureux de ce qu’ils font.

De : C.Ghymers, E.Calingaert, D.Lodewyckx, E.Nève, M.de Kemmeter, C.Gilles, A.Delobbe, N.Ku, A.Arnould, T.Abergel, B.de Bellefroid, M.Ruelle, B.Arnould, B.Pitsaer, X.Dupret, M.Devuyst, P.Chaudoir.