19 février 2019 : Technologie et digitalisation : quels impacts sur l’économie ?

Le Club of Brussels consacre son troisième workshop au sujet de l’impact de la digitalisation sur le travail et sur la société.

Quand ? le 19 février de 16h à 19h

Où ? Duke nestwork, avenue de Broqueville, 12

Chaque semaine de nouvelles entreprises annoncent des plans de transformation. Un impératif pour s’adapter à la digitalisation estime Belgacom, une faillite annoncée pour l’imprimerie Helio, des restructurations dans les hypermarchés et le secteur bancaire.

Pourtant, plusieurs études estiment que la transformation économique induite par la digitalisation entraînera plus de créations que de pertes d’emplois.

Alors, chômage technologique d’ampleur ou reconversion génératrice de croissance ?

Les générations et les groupes sociaux sont-ils égaux face à ces chamboulements ?

Quid des risques et problèmes technologiques de la technologie ?

Autant de questions auxquelles nous répondrons en intelligence collective pour :

mesurer l’ampleur de la digitalisation sur le marché du travail ;

apporter des solutions sociétales qui imaginent une technologie au service de l’Homme ;

estimer et préparer la formation aux nouvelles compétences.

 

En 2030, le bonheur sera au travail

Publié dans l’Echo le 16 janvier 2019
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L’ancienne vision linéaire de l’économie a prouvé qu’elle n’était durable ni humainement ni économiquement. Tous les chiffres démontrent que l’ancien modèle de management est à bout de souffle. Cette situation est propice à l’avènement de nouveaux modèles d’organisation.

Un rapide état des lieux du marché du travail suffit à démontrer l’incommodité du système économique actuel à répondre aux grands enjeux du moment. Le canyon se creuse entre les compétences des demandeurs d’emplois et le nombre croissant de jobs vacants. L’absentéisme au travail pour cause de stress, de dépression, d’anxiété a doublé en 20 ans. Le nombre de burn-out en Belgique a également doublé en seulement 5 ans . Le vieillissement de la population aura des conséquences socio-économiques gigantesques d’ici moins de 5 ans, en plus de l’impact sur les soins de santé . Les inégalités ont atteint un pic historique qui mettent à mal la cohésion sociale – les gilets jaunes n’étant que le top de l’iceberg.

Ayant compris la non-durabilité du paradigme actuel, le groupe de réflexion « Club of Brussels » se prononce pour une transition vers une nouvelle économie holistique qui place l’Humain en son centre. En intelligence collective, les différents experts du COB ont défini les grandes clés indispensables, 5 « must have », sans lesquels il est impossible d’envisager une rentabilité humaine et économique.

1. Re-connecter une population éreintée par le travail

Est-il possible d’écrire l’avenir de votre entreprise avec des employés stressés, en dépression, et dans la peur de perdre leurs acquis ? Les chiffres donnent froid dans le dos. D’ici 2030, 4.6 millions de travailleurs devront se former pendant 3 à 18 mois pour adapter leurs compétences . Qui va prendre le temps de se mettre à niveau si la majorité de la population n’est pas motivée par son job? Il est donc nécessaire d’incorporer des démarches de reconnexion avec sa puissance personnelle. La transition économique ne pourra se réaliser avec une population “malade du travail”.

2. Perception, conscience des enjeux, et transparence

Sans une transparence sur les informations, les collaborateurs ne comprendront pas les enjeux de l’entreprise. Pour être efficace, pour réveiller la curiosité du personnel et assurer la crédibilité du leader, l’accès à l’information sur l’état financier, les échanges et les perspectives de l’organisation doit être total. La rétention d’information était un outil de pouvoir. D’ici 5 à 10 ans, comment voulez-vous passer le cap sans activer l’intelligence collective des équipes, en cachant votre jeu ? Impossible. Il va falloir faire des alliances stratégiques avec des parties prenantes jusqu’alors improbables – en confiance.

3. Mise en cohérence des énergies des équipes avec celles des projets

40% des employés estiment que leur travail n’est pas indispensable, qu’il ne contribue en rien à la société . Il s’agit d’un système inouï d’inefficacité. Il faut redonner du sens et de la puissance au travail. L’énergie, la passion, la quête personnelle du collaborateur doit être en cohésion avec le projet. Il est prouvé que l’humain a besoin de contribuer au bien commun et au progrès. Ce n’est pas pour rien qu’on observe chez les jeunes un attrait grandissant pour les métiers de l’économie sociale et solidaire.

4. Participation inclusive – de la créativité en permanence

Il est temps de donner la parole à tous les acteurs, d’accorder de l’autonomie et des responsabilités aux équipes. Il faut maximiser l’apport des 4 générations présentes sur le marché du travail. Celles-ci doivent impérativement être connectées. En remplaçant la vieille vision “top-down” par une vision “all-together”, le leader accepte de ne plus être le seul référent. La passion d’apprendre et la curiosité des collaborateurs apporteront des connaissances et de la créativité en permanence. C’est sur le terrain et collectivement que nous créerons les business models de demain. L’apprentissage se fera entre pairs. A cette fin, des espaces-temps doivent être aménagés, les technologies de demain n’existant pas encore – et donc les profs non plus. Il va donc falloir “faire ensemble”.

5. Smart work

Depuis 2008, la productivité est soit en baisse, soit connaît une augmentation moins forte que dans les années 90 et début 2000 . Nous sommes donc de moins en moins efficaces – même avec les couches d’automatisation et digitalisation – et cela n’est pas tenable. Nous devons absolument apprendre à travailler le plus “smart” possible: travailler en réseau, en gestion de projet efficace, conclure des alliances. Travailler intelligemment signifie aussi offrir un espace de travail propice à l’émergence de nouvelles solutions de création de valeur : liberté de manœuvre, possibilités de challenger la direction sans risque, agilité, accès aux marchés et parties prenantes. La résilience collective est un concept clé: « Trompez-vous souvent, mais apprenez vite ».

Conclusion

L’ancienne vision linéaire de l’économie a prouvé qu’elle n’était durable ni humainement ni économiquement. Tous les chiffres démontrent que l’ancien modèle de management est à bout de souffle. Il n’est plus viable. Cependant, cette situation est propice à l’avènement de nouveaux modèles d’organisation. Nous constatons en effet un intérêt croissant pour le management collaboratif, l’entreprise libérée, la prise en compte de valeurs intangibles. L’avenir est à l’organisation intelligente qui permet la participation inclusive et contribue aux enjeux de bien commun.

(English) Diplomatic World – The next chapter of western economy starts in Brussels

 By 2025, 1/3 of the jobs are going to disappear, and another 1/3 will completely change. It is the biggest shift in the history of economy since the industrial revolution. One difference: the speed. In 5-7 years, world economy will be unrecognizeable. Most companies and governments have no idea what to do, nor where to go. In the best case, they focus on digitalisation. With the vulnerability to hacking today, building whole businesses exclusively on robots, AI, IOT, and digital revolutions is very risky.

On the other hand, numerous new approaches to value creation are emerging everywhere – mostly under the radar. From Brussels, we have been gathering all these tendencies, mapping, clustering, analyzing and extrapolating them horizon 2025.

WHY BRUSSELS ?

It is the geographic center of Europe, the HQ of most lobbies, federations, Nato, European Union, and multinational companies. But above all, Belgium has a skill to deal with multicultural issues and multiple agendas, through a blend of germanic culture, latin and Anglo-Saxon, and 140 others – combined with a culture of humble hard work and global engineering (Belgium was the world’s second economic power till 100 years ago).

Belgians are welcome anywhere in the world, unlike some other nationalities. Embassies in Brussels are staffed by the best diplomats on the planet, with open lines with their heads of state. Moreover, all the good ideas pass through Brussels sooner or later. It is ideal to export new economic visions and models. The sandbox of those economic models will find their markets mostly abroad, as Belgium is quite conservative. Especially emerging economies with young populations, eager to learn and empower the next generation of humanist entrepreneurship serving global challenges.

A FUTURISTIC SANDBOX

We need to experiment and empower collaboration between the players who have the most resources to create change: large corporations. They start to realize, little by little, that they cannot innovate on their own. They will not be able to shift drastically before 2025. So, in short, they are big ships, aware of the iceberg, its size and position, but unable to turn the wheel in time. Two things should be done:

  1. Trim the ship for impact, get down to the basics
  2. Prepare the lifeboats.

The lifeboats are new businesses, based on the new paradigms (collaborative, serving multiple challenges), and they will be able to swim in between the icebergs. These new businesses should be crisis-proof, bringing new coherence between people and economic activities. They will thus be able to tackle historical challenges in systemic, instead of linear ways. A few examples: sustainable rental housing, waste recycling, next generation education systems, senior population and sustainable pension funds, illness prevention, sustainable agriculture and food, greening deserts, etc.

This experiment was started in Brussels. Half a dozen companies, twenty extrapreneurs of multiple backgrounds and generations, were trained on the next economic paradigms (24 days of action-training), hands-on creating the next generation businesses. In four months, they came up with new businesses, validated by stakeholders and market, all of them fully scalable. In combination with new systemic thinking and a top-down vision on the next generation macro-economic models, we have the DNA of transition.

We have to mobilize the early adopters of new ways of creating value – those who did try internal innovation, incubators, without substantial success. Those large companies are now ready to open the box and share their resources with others to create the next generation businesses. We exfiltrate them in a dedicated space, and train their managers – together with a next generation entrepreneurs – to a new economic philosophy with brand- new tools. The first experiment of Extrapreneurs in Brussels is now ready to be franchised and scaled up.

A NEW SCHOOL OF ECONOMIC THINKING – CLUB OF BRUSSELS

The next chapter of economic thinking is now being written all over the world. Thousands of experiments and studies are done and in process. We are compiling them with the “Club of Brussels,” and projecting economic vision on 5-10 years. We qualify and quantify job destructions and creations, and prepare a road book for governments to help their economies resist global recession, and facilitate the emergence of new economic spaces. Social economy, digital economy, sharing- and collaborative economy, green and circular economies are the big winners. Public authorities, services, trade, industry are the big losers (studies to be found in « Shifting Economy », Brussels 2017, by Mossay-de Kemmeter).

Thousands of studies have been made on economic transition, but only very partially. It is now time to put all of them together to create a new holistic vision on economy. Following the paradigm shits going on as we speak, it looks like public services will be made more efficient with digital tools, thus cheaper. Healthcare cost will go down, thanks to more prevention and education. Education will move to more peer-to-peer learning; it will be much more hands-on, efficient and cheaper. Mobility will be more shared and thus cheaper and with lower impact.

That culture will create much more societal value and rely less on public finances. We should quantify all these systemic shifts to make the figures work. Our taxes should lower, the value created should be higher, and thus global progress can be triggered. But we should not be naive. Such majors shift will take time. We can – at best – stimulate the creation of « islands of resilience », interconnect them, and inspire others to shift also. This global shift follows the logic of organic mutation. We will not wake up some morning, in a new world. Shift happens one by one, company after company, community after community, city after city. The beauty of it is that everyone of us can be part of it – nothing will be decided for us by some higher power.

Another good news is that there will be probably as many new jobs created in the new economic spaces, than jobs destructed in the old ones. Boring jobs will be replaced by empowering ones – much more in tune with peoples’ excellences. Over 75% of the people working do jobs they don’t like. Burnout and depression rise exponentially. No surprise. This is just a sign that we do something wrong… A new coherence is expected to empower people. On micro/ personal level, on company level, on national levels and on global levels. This is what Club of Brussels will map and calculate. Create an efficient tool to pilot our economies through this giant mutation.

PARADIGM SHIFTS AND COLLECTIVE CONSCIOUSNESS

The economic challenges are only the top of the iceberg. The true challenge is the shift in global consciousness. People start to realize they are one, on a planet which is their common « mother ». That they cannot go on killing each other day after day, and destroying their mother earth. Big words. But what does it mean? It is multidimensional. We are mutating as humanity. (1) From patriarchal societies to a combination of patriarchal and matriarchal, integrating as such, both polarities. Masculine and feminine. (2) Shifting from dependance models, based on fear, to autonomy models, based on personal power and love. (3) From hierarchies to ecosystems. (4) From linear models (exhausting people and planet) to systemic models (nourishing people and planet). (5) From formatting and automation to individual and unique empowerment. (6) From ownership models to shared and collaborative models. We can go on and on. Everything is shifting. The only way we can follow these, understand them and act coherently, is a personal choice of consciousness. Decide to go beyond appearances, and use your talents to serve common good. Beyond ego and possession. It is – in a way – to be individually and collectively reborn as a fully grown human being. Humanity is little by little leaving behind childish behavior. In economy, it has fundamental impacts, and the first movers, enlightened leaders, are economically very successful. The all will tell you the same kind of stories…

THE NEXT MODEL – SYSTEMIC, HOLISTIC AND PEOPLE-CENTERED

Humanity starts to realize it is a part of the (whole) specter of life. Humanity has the possibility to act consciously, unlike animal, vegetal and mineral reigns. As such, it has the capacity to connect reigns and to fulfill itself at its best potential. In its more mature behavior, humanity can inspire from the logic of nature, and implement optimal natural value creation. Studies show that collaboration on existing resources allow 4 to 5 times better (economic) results. Like in nature, with 100% efficiency and 0% waste. Those models have a new intelligence: systemics. It shows and empowers 3D connexions between stakeholders – answering needs and sharing resources on multiple levels.

Economy, in its basic etymology, « managing household », has multiple value creation loops. Monetary transactions only account for a small part of the economic domain. Systemics allow to map and empower those connexions. It also takes into account the positive or negative collateral effects of economic exchanges. Systemic human intelligence is located in the prefrontal brain. Its neurons are 3-dimensional, it has a creative interconnecting function – there where in the conditioned/ structured brain, the neurons are linear. Human beings only use around 10% of its brain capacity. Shifting to higher potential is key here, as a priority, before using Artificial Intelligence. The risk is that our IQ and discernment lowers by using more technology, without personal development and consciousness enhancement. Moreover, relying on too much technology will create a very new unexpected vulnerability of our businesses to unreliable and fragile technology. Hacking, fake news, electricity blackouts, or hyper complexity could cost entire companies. Very dangerous.

The next model will ask to develop the capacity of holistic view. Like walking up the stairs to the first floor, whilst water and mud is rising at the ground floor and everybody there struggles to survive. We need to develop the skill to see things from higher, as well as dive into concrete matters and make new systemic models work with natural intelligence.

A FEW SECRET INGREDIENTS

Of course, the whole operation has a series of ingredients for success. Constant humble personal development, constant research on new philosophies of value creation, learn from the most diverse horizons, search for coherence and alignment, be aware of emerging potential, understandable vocabulary and semantics, sense of timing, empowering systemic links, a strong and coherent validated methodology… in other words, a new enlighten leadership based as much on common sense than on sense of purpose serving common good. I know those people are there, sometimes under the radar. Maybe you too. Dare to come up with your deeper intuitions and fulfill your teams. It is the time to show and mobilize the best.

A STRONG VISION

The big « country » winners will be the countries with creativity, with young population, with a willpower to serve common good, cultures who are able to collaborate openly. The big employment winners in « economic models » will be, horizon 2025 : social business (will double), green economy (more than double), circular economy (also more than double), digital economy and robotisation will only gain +/-50%, knowledge economy will also gain around 50%, agro-ecology will tenfold. Sharing and collaborative economy will twentyfold – with the open question of employment and taxes… The big losers in employment will be services and trade (-50%), industrial agriculture (-60%), industry, energy and extraction will lose around 40%. Public services will lose between 10 and 70%, depending on the political choices made by their governments.

The next chapter of world economy could be written from Brussels, in collective intelligence with the best global visionaries and experts. Eclectic, we need sociologues, psychologues, scientists, next generation leaders, and even artists and spiritual leaders, to assist our expert economists. The outcome will be a true « Growth Explorer » to help governments to pilot the mutation of their economies. Coaching the emergence of the new. But let us not be naive, it will take decennia till the whole economy is tuned into a new and strong coherence. It will happen in stages, through the emergence of « islands of resilience ». Those can be cities, companies, communities, based on new vision, autonomy and personal leadership. The rest will be more and more based on fear, stress and dependance. Little by little, people will diverge from a system they cannot survive inside, and do their personal coming out, connecting purpose, passion and new expected competences – to participate in the most fascinating adventure in human history.

Michel de Kemmeter
www.extrapreneurs.orgwww.wiseholding.netmichel@wiseholding.net

Inverser la pyramide du pouvoir

Antoine Arnould
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Les proportions gigantesques prises par la division du travail ont séparé totalement le travailleur de ce qu’il produit. Dans le même temps, jamais une si petite minorité de personnes n’a possédé autant de richesses. Autrement dit, les acteurs sont séparés de ce qu’ils font. Leur pouvoir est nié. Si l’on étend cette analyse au pouvoir politique, on se rend compte que celui-ci reproduit ce processus de séparation entre dirigeants et dirigés. Il confisque l’activité créatrice des individus. Une nouvelle relation entre dirigeants et dirigés doit alors se réinventer. Analyse.

Réflexions sur les nouvelles formes de pouvoir

Le principe selon lequel les affaires publiques ne peuvent être confiées qu’à des personnes « spécialisées » est de plus en plus critiqué et mis à l’épreuve.   Le désengagement des citoyens des partis politiques, les taux d’absentéisme croissants dans les pays où le vote n’est pas obligatoire, la fracture réelle et perçue entre les citoyens et leurs représentants – tant idéologiquement que matériellement – plongent la « démocratie représentative » dans une crise profonde. La revendication des gilets jaunes pour la mise en place d’un referendum d’initiative citoyenne s’inscrit dans ce contexte. Cette demande est symbolique d’une volonté plus générale pour la construction de formes nouvelles de pouvoir.

Activité créatrice confisquée

Les proportions gigantesques prises par la division du travail ont séparé totalement le travailleur de ce qu’il produit. Dans le même temps, jamais une si petite minorité de personnes n’a possédé autant de richesses. La richesse produite par la majorité de la population est donc en grande partie accaparée par d’autres individus[1]. Il y a une séparation entre ce qui est fait et celui qui fait[2]. Autrement dit, les acteurs sont séparés de ce qu’ils font. Leur pouvoir est nié. Si l’on étend cette analyse au champ politique, on se rend compte que l’élite dirigeante a le même type de relation avec la population qu’elle dirige dans un territoire donné. Le citoyen doit voter pour les personnes qui le représenteront. Une fois le processus électoral terminé, les élus bénéficient du monopole de la prise de décision. De la même manière que l’entreprise capitaliste sépare les travailleurs de ce qu’ils produisent, le pouvoir politique reproduit ce processus de séparation entre dirigeants et dirigés. Il confisque l’activité créatrice des individus.

De nouvelles formes de pouvoir doivent alors se réinventer pour dépasser la séparation caractéristique des gouvernements avec la société. En ce sens, qui est au pouvoir importe moins que la relation entre dirigeants et dirigés. C’est cette relation qui est totalement à réviser. Le système politique qui attribue un pouvoir total aux dirigeants sans contrôle ni participation de la société civile ne pourra pas résoudre les grands enjeux sociétaux. Révolutionner la relation entre ceux qui exercent le pouvoir et ceux qui le subissent implique la création d’un espace démocratique qui permet l’écoute, le respect et l’exécution de l’avis des citoyens. La réorganisation de la relation entre électeurs et élus doit empêcher ces derniers de diriger seuls. La récupération du pouvoir-faire, de l’activité créatrice et de la dignité humaine passe par une inversion de la pyramide du pouvoir.

Démocratie participative : panacée ou insuffisante ?

Dans cette optique, plusieurs outils dits de démocratie participative ou directe existent ou (re)font surface dans le débat politique, entendu dans son sens large comme tout ce qui relève de l’organisation du pouvoir dans la société. Les référendums, les budgets participatifs, les forums ouverts, les panels citoyens, les conseils populaires, les plébiscites, l’assemblée constituante citoyenne, les plans stratégiques participatifs sont autant de pratiques qui remettent en cause le monopole de la prise de décision détenu par les élus et les partis politiques.

Ces démarches participatives ont le mérite de repenser l’organisation du pouvoir et la relation entre dirigeants et dirigés. Elles permettent, sinon d’empêcher, de réduire la séparation entre les élus et les personnes qu’ils représentent. Elles rappellent à ceux d’en haut que la démocratie ne se limite pas au dépôt d’un bulletin de vote dans une urne tous les cinq ans. Le citoyen doit aussi pouvoir décider les grandes orientations dans lequel son pays s’engage. Par exemple, il nous semble absurde qu’aucun referendum national n’ait eu lieu sur le traité transatlantique de libre-échange. Ce genre de décisions sort du mandat confié aux élus et a pourtant des conséquences importantes sur la vie de chaque individu. A défaut d’obtenir des résultats différents, ce genre de référendums nationaux aurait le mérite d’instaurer un grand débat de société idéologique sur des questions déterminantes pour notre avenir.

La participation populaire aux échelons locaux est encore plus légitime et efficace. En effet, plus qu’un simple rôle de consultation, ce niveau de pouvoir est plus à même de consulter mais aussi de permettre la participation et la co-création. Ainsi, les budgets participatifs communaux – en accordant une partie du budget aux projets citoyens et en laissant le citoyen choisir la façon de répartir les recettes – émancipent et considèrent le citoyen comme acteur légitime.

La fracture avec la population et les revendications de la société civile pour que lui soit accordée une citoyenneté « par le bas » obligent les dirigeants à (au moins faire mine de) partager le pouvoir. En effet, bien que les actions en ce sens tardent, il semble de moins en moins audible que les simples citoyens soient déclarés incapables de prendre des décisions politiques parce qu’ils ne comprennent pas les problèmes globaux de la Cité. Refuser l’implication citoyenne en utilisant l’argument d’immaturité du peuple revient en réalité à refuser le principe même de démocratie[3] selon lequel c’est au peuple de décider.

Si ces outils ont le mérite d’élargir la prise de décision à des acteurs qui en sont généralement exclus, ils présentent cependant des limites et ils paraissent clairement insuffisants. Premièrement, le danger est que les élus utilisent ces mécanismes pour légitimer leur pouvoir. Le tournant participatif risque de n’être que de la poudre aux yeux si les citoyens ne peuvent intervenir sur les politiques publiques qui n’ont que peu d’importance[4].

L’autre risque serait que les élus l’utilisent pour se légitimer mais sans respecter in fine les choix du peuple. De nombreux exemples européens abondent malheureusement dans ce sens. En 2015, le gouvernement grec organisait un référendum pour demander à la population si elle acceptait un troisième plan d’austérité de « sauvetage ». Le non l’emporta largement, avec 61,3 %. Pourtant quelques jours plus tard, le Premier ministre Tsipras céda aux chantages de la Troika et accepta le plan de redressement, allant ainsi à l’encontre de la volonté populaire. Les mêmes pratiques se sont réalisées en France et aux Pays-Bas en 2005 à propos de la Constitution de l’UE et en Irlande en 2001 et 2008 (Traités de Nice et de Lisbonne)[5].

Sans contrôle efficace de la population sur ses élus, les référendums et toutes autres sortes de démarches participatives ne sont en effet que de la poudre aux yeux qui aura en plus comme conséquence de décourager l’implication du citoyen. Pour parer au problème du non-respect de la volonté populaire, une solution est de mettre en place le principe de révocabilité des élus. Accorder un pouvoir de décision aux gens sur les sujets qui leur incombent requiert l’éventuelle exclusion des dirigeants qui ne respecteraient pas la volonté populaire. La révocabilité accorde au collectif un pouvoir de contrôle et de sanction sur l’autorité. Si un élu s’écarte de ses engagements ou se corrompt, la société aurait ainsi la possibilité d’organiser un référendum révocatoire pour juger s’il convient ou non de l’écarter de son mandat. En fait, la non-révocabilité des élus s’oppose au principe même de la démocratie.

Aussi, pour que la démocratie puisse pleinement s’exercer, la reddition de comptes est nécessaire. Comme tout un chacun, il est important que les élus soient soumis à une évaluation de leur travail. Une des manières de rendre des comptes est d’appliquer une transparence totale. Les salaires, par exemple, qui entraînent une différenciation économique et sociale du reste de la société ne sont pas souhaitables. Une rémunération juste et transparente éliminerait ainsi une source de corruption et permettrait d’éviter que certaines personnes veuillent obtenir un poste en vue de bénéficier de privilèges. Plus profondément, cette logique entend concevoir le mandat politique comme un travail au service du collectif et non comme un moyen d’enrichissement personnel.

Un autre défi concerne l’inclusion et la diversité des profils des participants. Une démocratie ouverte et large exige la prise en compte de la pluralité de la société et la représentation des diverses cultures, identités et secteurs sociaux. Le risque du développement participatif est de voir certains groupes sociologiques surreprésentés : notamment les classes moyennes qui disposent d’un certain capital culturel. Et à l’inverse de constater une absence tendancielle des profils historiquement exclus : les personnes issues de l’immigration, les ouvriers peu qualifiés et les femmes des milieux populaires forcées à être cantonnées aux tâches familiales et domestiques. Le problème ne serait que déplacé dans le sens où la prise de décision serait réservée à une autre minorité, certes plus élargie mais non-représentative de la diversité de la société.

Des solutions existent pour répondre à ce cas de figure. Le cas du budget participatif de Porto Alegre mis en place depuis 1989 est exemplaire à cet égard. Les personnes les plus pauvres y ont investi massivement les instances de participation. Les femmes sont plus présentes que les hommes aux assemblées et les personnes de couleur sont également bien représentées. Les groupes historiquement exclus sont fortement présents dans le dispositif participatif et sont devenus des acteurs légitimes et reconnus à l’échelle de la ville. C’est en partie la structure du budget participatif elle-même qui explique ces résultats satisfaisants. En effet, le dispositif prévoit une matrice qui considère le facteur de la carence en infrastructures et services pour accorder davantage d’investissements dans les quartiers plus démunis. Une autre explication réside dans le fait que des résultats tangibles ont été obtenus. Les budgets participatifs ont provoqué une augmentation de la justice fiscale et sociale. Le budget participatif de Porto Alegre est la preuve que des moyens existent pour permettre une participation représentative de la diversité de la société.

Aussi, une vigilance est requise pour que ces débats participatifs n’amplifient pas de faux problèmes, notamment les thématiques identitaires dont raffole l’extrême droite. Des débats légitimant l’expression publique de la xénophobie ne sont pas souhaitables. Les référendums encourageant les replis sur soi et le racisme ne peuvent être mis en place. Tout simplement parce que les droits humains fondamentaux ne peuvent être discutés et mis en jeu.

Enfin, dans la même logique, la démocratie ne doit pas s’arrêter une fois franchie les portes du lieu de travail. Il est absurde de repenser la relation du pouvoir politique si, huit heures par jour, la hiérarchie verticale reprend le contrôle sur nos vies. Le pouvoir créateur des individus est à retrouver dans les entreprises également. Les acteurs doivent être reliés avec ce qu’ils produisent, le sujet et l’objet réunis, ce que le capitalisme avait séparé. L’acteur doit pouvoir décider les orientations prises par l’entreprise où il travaille et avoir droit au chapitre en ce qui concerne les politiques économiques. Comme Castoriadis le souligne, comment être libre si d’autres ont plus de pouvoir, que ce soit sur le plan économique ou politique[6] ?

Inverser la pyramide du pouvoir

En somme, les outils de démocratie participative sont une avancée et un espoir pour élargir la démocratie et développer la citoyenneté. Nous l’avons souligné, des précautions sont à prendre pour que la participation soit diversifiée, inclusive, respectée, authentique et se traduise en résultats palpables. De manière générale, les outils de démocratie participative doivent se comprendre comme une volonté plus large de développement de nouvelles formes de démocratie. L’attrait pour ces outils traduit une volonté de réorganiser la relation entre élus et citoyens. Le tournant participatif, pour être complet, doit s’accompagner par des dispositifs de contrôles et de sanctions du collectif sur les élus : transparence et révocabilité. Il est également préférable que se mette parallèlement en place une décentralisation progressive du pouvoir pour faciliter la consultation et la participation à l’échelon local, niveau plus adéquat pour ce genre de pratiques.

L’addition et l’intensification de ces pratiques auraient pour conséquences d’inverser la pyramide du pouvoir et de réduire les élus aux rôles de coordination, de médiation, d’initiative et d’impulsion. Enfin, renforcer les espaces pour que la société puisse s’exprimer et exercer réellement le pouvoir revient à considérer la politique non plus comme une affaire de « spécialistes » mais comme un moyen permettant à tous de s’occuper des affaires de la Cité. Reste à savoir si les gouvernements sont toujours des centres de pouvoir dans un monde néolibéral globalisé, caractérisé par la subordination des Etats à la mobilité constante du capital mondial…

Antoine Arnould
Club of Brussels

[1] https://www.latribune.fr/economie/les-1-les-plus-fortunes-ont-accapare-82-des-richesses-creees-l-an-dernier-765516.html?fbclid=IwAR3GBsXdhNCFzJgjYu6OjuONmfBhbwyDCHbsd9pJjOf3AHOza5itMR16nPc

[2] Analyse empruntée à John Holloway, Changer le monde sans prendre le pouvoir, 2008

[3] http://www.barricade.be/sites/default/files/publications/pdf/2018_les-gilets-jaunes-ont-raison.pdf

[4] Sandrine RUI, La démocratie en débat. Les citoyens face à l’action publique, Paris, 2004

[5] Op. cit. http://www.barricade.be/sites/default/files/publications/pdf/2018_les-gilets-jaunes-ont-raison.pdf

[6] https://www.revue-ballast.fr/castoriadis-democratie-ne-se-limite-depot-dun-bulletin-urne/