Aperçu : Climat, pensions, jobs… Coût de 9.000 milliards pour la Belgique

Publié dans l’Echo le 29 juin 2019

Des experts ont identifié 26 enjeux que le pays doit résoudre coûte que coûte. L’ardoise est salée.

2030. C’est la deadline que s’est fixée Michel de Kemmeter, expert en transition économique et fondateur du think tank Club of Brussels. D’ici-là, estime-t-il, faute d’avoir pris les mesures nécessaires, il faudra résoudre plusieurs problèmes en même temps: catastrophes naturelles, pensions, transition énergétique, cybersécurité, absentéisme longue durée… Il a identifié 26 enjeux, les a chiffrés. Et l’ardoise est énorme: d’ici 2030, il faudra rassembler 9.000 milliards d’euros, plus de 20 fois le PIB de la Belgique. “Tous ces enjeux sont en train de converger, et vont éclater simultanément, le tout pour la plupart avant 2030. C’est du jamais vu.” Et de citer le chamboulement du marché du travail à cause des innovations technologiques. “Deux tiers des métiers vont muter. Comment former 20 fois plus de personnes qu’aujourd’hui?” Dont coût: 38,5 milliards d’euros.

Autre exemple: la rénovation des bâtiments, “des millions de mètres carrés d’immobilier public, la plus grande partie est obsolète, à abattre ou à rénover”. Dont coût, l’un des plus gros: 2.250 milliards d’euros. L’absentéisme, les maladies de longue durée, les burn-outs: 297 milliards d’euros. Et ainsi de suite…

Doit-on baisser les bras? Non, répond l’expert qui se dit optimiste pour la première fois depuis qu’il a redéposé ses valises en Belgique il y a deux ans. “C’est la première fois qu’une fenêtre s’ouvre à ce point: le pouvoir est vraiment dans les mains des gens et de leur créativité entrepreneuriale. Tant les dirigeants d’entreprise que le monde politique sont terrifiés devant l’ampleur de ces enjeux multiples.” Et de conclure: “On n’a plus le choix: on ne peut plus penser de cette manière linéaire qui consiste à trouver une solution pour chaque enjeu. Avec ce constat, on met échec et mat la pensée économique traditionnelle et nos dirigeants politiques qui proposent des micro-solutions subsidiées.”

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La créativité au service de notre monde surendetté

Publié dans l’Echo le 19 juin 2019

Les dettes mondiales n’ont jamais atteint de telles proportions :  elles sont passées de 80 à 287 trillions de dollars en moins de 20 ans. Le PIB mondial étant d’environ USD 80 trillions, la situation est devenue insoutenable. Cette instabilité est renforcée par le fait que la qualité des débiteurs s’est détériorée et que 68% de ces dettes sont en dollars, alors que seulement 47% des échanges mondiaux se font dans cette devise.

Ces dettes exorbitantes – publiques et privées – ne prennent pas en compte les coûts qu’engendreront le vieillissement de la population, les soins de santé, l’entretien des bâtiments publics, la formation aux métiers de demain ou la dette environnementale, qui est de surcroît une dette également non monétaire.

Anticiper les crises systémiques

Nous sommes de facto dans une situation fragile, à un moment charnière, potentiellement à l’aube de crises systémiques. Ces défis historiques ne pourront pas être résolus par quelques réformes isolées. L’ampleur des dettes cumulées nécessite l’avènement de solutions diamétralement différentes et d’une triple prise de conscience des citoyens, des entreprises et des gouvernements. Ce moment historique nécessitera l’implication de tous pour réinventer un consensus social.

Bien sûr, il existe une grande disparité entre les pays : les dettes souveraines des pays de l’OCDE représentent 110% de leur PIB (102% pour la Belgique) alors qu’elles ne représentent que 50% du PIB des pays émergents. Les responsabilités ne sont pas non plus partagées de manière équitable : les 10% les plus riches de la population mondiale génèrent la moitié des émissions de CO2 alors que les 50% les plus pauvres n’en émettent que 10%.

Gérer différemment la chose publique

Une des multi-solutions pourrait être d’organiser l’échange de permis d’émission de CO2 par habitant entre le Nord et le Sud en fonction de la capacité d’absorption totale de la planète. La formation d’un prix de marché du CO2 internaliserait ses effets néfastes et rendrait rentable les énergies alternatives. L’utilisation des recettes des ventes des permis du Sud permettrait de résoudre le financement d’une accélération du développement durable des pays du Sud.

De manière générale, le fonctionnement même de la gouvernance est à bouleverser : plus d’efficience, de cohérence, de visions sur le long terme et de démocratie participative. L’Histoire démontre que l’Humanité est capable de surmonter des grands enjeux lorsqu’elle y est acculée. La nécessité engendre la créativité, l’innovation et la participation de chacun.

Sensibiliser et impliquer les citoyens

La mobilisation des jeunes pour le climat démontre que la société civile n’aspire qu’à exprimer des solutions cohérentes et des alternatives durables. De plus en plus de citoyens prennent conscience qu’une croissance infinie dans une planète dont les richesses sont finies est impossible. Pour sensibiliser le citoyen, il nous semble pertinent de le responsabiliser de manière participative et ludique.

Nous suggérons également que les initiatives citoyennes positives soient plus largement diffusées. Des îlots de résilience se créent sous les radars : circuits courts, monnaies locales, coopératives. Dans les périodes de crash, nous avons une tendance instinctive à l’entraide et à la coopération, contrairement à la croyance selon laquelle l’homme est un loup pour l’homme.

L’entreprise de demain

Plus de 60 % des émissions dommageables à l’environnement est imputable au processus de production.  Les entrepreneurs ont leur responsabilité et doivent contribuer positivement aux enjeux multiples. L’entreprise de demain ? Une philosophie de l’économie qui s’oppose à l’individualisme et à l’accumulation. Le principal capital productif est humain : connaissances, expertise, savoir-faire, valeurs intangibles.

Cette vision change la donne à plusieurs égards. La formation est dès lors pensée pour valoriser ce potentiel : culture, pédagogie alternative, éducation permanente et participative. Il est également essentiel de trouver un nouvel équilibre entre l’humain et la technologie. En fait, les entreprises doivent anticiper et se baser sur la coopération en s’inspirant des neurosciences, du biomimétisme, à l’image de la vie elle-même. Cela permettra la relance et la création de métiers porteurs de sens.

On ne résout pas un problème avec les recettes qui l’ont engendré  

L’ampleur des dettes cumulées et l’urgence climatique démontrent l’insoutenabilité de notre modèle économique. Le moment est historique. A nous de nous mobiliser collectivement. La participation collective et l’intelligence citoyenne généreront les solutions intelligentes nécessaires. Finalement, le vrai moteur d’une société saine est l’action de citoyens motivés et amoureux de ce qu’ils font.

De : C.Ghymers, E.Calingaert, D.Lodewyckx, E.Nève, M.de Kemmeter, C.Gilles, A.Delobbe, N.Ku, A.Arnould, T.Abergel, B.de Bellefroid, M.Ruelle, B.Arnould, B.Pitsaer, X.Dupret, M.Devuyst, P.Chaudoir.

Mêlez-vous de ce qui vous ne regarde pas

Publié dans l’Echo le 25 avril 2019
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La participation transversale est une opportunité historique pour répondre aux prochains défis sociétaux cruciaux. Elle semble être un outil efficace pour réduire l’injustice sociale, l’exclusion ou le stress au travail.

La demande pour des politiques participatives dans toutes les sphères de la société s’inscrit dans un contexte de déficit de confiance envers les élus, de croissance des inégalités sociales et de manque de solutions créatives face à de nombreux enjeux historiques. Plusieurs indicateurs démontrent que l’écart entre les élites politiques, technocratiques, économiques et la population ne cesse de s’agrandir. L’abstention électorale connaît des taux historiques. La participation moyenne dans tous les pays membres pour les élections européennes est passée de 62% en 1979 à 42% en 2014.

Des pans entiers de la population sont sous-représentés, tant le profil sociologique des députés n’est pas du tout représentatif. A titre d’exemple, alors que plus de la moitié des Français sont employés ou ouvriers, seulement 2,6 % de leurs députés proviennent de ces catégories socioprofessionnelles. La rupture entre managements et employés suit la même tendance. Le coefficient de « gini » qui mesure les inégalités est en croissance continue et le nombre d’exclus d’une façon ou d’une autre de la société augmente constamment.

Face à ces déficits démocratiques, des voix s’élèvent pour reprendre le contrôle sur nos propres vies. Souvent, ces périodes de crise sont propices au climat de révolte, à la mise en place de dynamiques collaboratives et à la résurgence d’une énergie créatrice instinctive.

Dans ce contexte, la participation transversale est une opportunité historique pour répondre aux prochains défis sociétaux cruciaux. Elle semble être un outil efficace pour réduire l’injustice sociale, l’exclusion ou le stress au travail.

Dans le même ordre d’idées, nous constatons actuellement que c’est la prise de conscience et la mobilisation citoyennes qui ont contraint les décideurs à envisager de prendre des mesures ambitieuses pour l’environnement.

Créer une culture participative efficace

Le monopole de la prise de décisions détenu par les politiciens et les dirigeants d’entreprise empêchent la population ou le personnel de penser par eux-mêmes : nous avons perdu l’habitude de réfléchir.

A l’inverse de cette logique, réinventons une culture participative et un climat de confiance. Celle-ci se crée depuis le plus jeune âge, à l’image du système éducatif hollandais qui incite les jeunes – dès les secondaires – à participer et à faire entendre leur opinion.

Bien sûr, des obstacles existent, notamment certains groupes sociaux réfractaires au changement : le middle management égocentré en quête de promotion ou des politiciens  peureux à l’idée d’étendre la prise de décision quand il s’agit d’enjeux significatifs. Ce manque de confiance et de transparence est un frein majeur à une répartition plus équilibrée des richesses et du pouvoir. En effet, un mouvement ne se met généralement en route seulement lorsque le dualisme est dépassé et la confiance acquise.

Pouvoir décentralisé

Ce n’est pas étonnant de constater que les expériences de démocratie participative efficaces ont tendance à fonctionner à l’échelle de villes ou de régions.

Pionnière des budgets participatifs, depuis 1989 la ville brésilienne de Porto Alegre laisse décider ses habitants des priorités pour tous les investissements de la municipalité. En Autriche, le land du Voralberg a développé un outil, le Bureau des questions du futur, pour encourager la participation et donner plus de pouvoir aux citoyens.

Récemment en Belgique, la communauté germanophone s’est dotée d’une assemblée citoyenne tirée au sort. Une première en Europe !

Résultats tangibles pour chacun

La participation risque d’être faible si des résultats tangibles et des changements visibles ne sont pas perçus. A quoi bon participer si les ressources allouées ne permettent pas de résoudre les problèmes désignés ? Pour stimuler l’implication citoyenne, il est nécessaire que les dispositifs participatifs décentralisés se voient allouer d’importantes prérogatives et de vrais budgets. Aussi, l’avis exprimé – des employés ou des citoyens – doit être respecté par la suite. Sans ces précautions, la démocratie et la gouvernance participatives risquent de n’être que de la poudre aux yeux – et contre-productives.

Multi-solutions systémiques

Aucun grand enjeu sociétal ne peut être résolu si nous tentons de le résoudre de manière isolée. Nous devons y faire face en apportant des multi-solutions systémiques.

A chaque fois, l’humain doit être au centre des préoccupations. Une participation transversale permet de résoudre partiellement des problématiques globales telles que la justice sociale et climatique.

Elle nécessite une triple prise de conscience : des citoyens qui doivent “se mêler de ce qui ne les regardent pas” ; de nouvelles formes de gouvernance transparentes et participatives dans les entreprises ; et une nouvelle conception de politiques publiques délibératives et partagées.

Le Club of Brussels est un groupe de réflexion sur la transition économique. Les experts signataires sont : Vincianne Gillard, Marc Ruelle, Michel de Kemmeter, Eve Calingaert, Elise Tilmans, Didier Lodewyckx, Didier Van Rillaer, Bruno Arnould, Patrick Versée, Antoine Arnould, Thierry Pauwels, Olivia Mariaule.

La digitalisation ne doit pas nous effrayer

Publié dans l’Echo le 21 mars 2019

Le phénomène de digitalisation est sur toutes les lèvres tant il risque d’impacter le marché du travail. L’apparition des machines intelligentes, des appareils mobiles et connectés, et l’explosion des big datas modifient profondément notre travail et nos relations sociales. La convergence de ces nouveaux facteurs entraîne l’émergence de nouvelles économies et une robotisation accélérée de tâches de plus en plus complexes.

Les études prospectives évoquent des chiffres qui font froid dans le dos. Frey et Osborne estiment que 54 % des emplois actuels en Europe risquent d’être automatisés d’ici 2030. Et pour les emplois restants, la moitié des tâches serait transformée. Cependant, selon l’IWEPS seulement 11% des emplois actuels risquent de disparaître, 15% selon Mckinsey et 14% selon l’OCDE. Ces divergences entre les études prouvent que l’ampleur de la digitalisation ne peut être connue avec précision et exactitude. En effet, la digitalisation s’inscrit dans un contexte donné et dépend de multiples facteurs. D’où l’importance d’une approche systémique.

1. Se former 18 mois à un métier qui n’existe pas encore ?

La transformation digitale n’est seulement possible que si la population y est formée. A ce propos, Agoria a publié un dossier très pertinent : 310.000 personnes devront suivre un recyclage allant jusqu’à 18 mois pour changer de secteur. Certes, nombreux seront ravis d’apprendre, de changer de voie, de ne pas tomber dans l’ennui et la routine. Mais d’autres, éreintés par le travail – le nombre de burn-out, de stress, d’anxiété explose et l’hégémonie digitale amplifie ces états – ne voudront pas se former intensivement aux compétences technologiques qui n’existent pas encore.

2. La technologie au service du bien commun

L’ampleur des conséquences dépend également du type d’innovation et du rôle que l’on leur attribuera. Aujourd’hui quelques entreprises monopolistiques détiennent et exploitent les données et génèrent des capitaux gigantesques. Pourtant, elles ne contribuent guère au bien commun : empreinte écologique élevée, taxation faible ou nulle, détournement d’informations personnelles, intrusion dans la vie privée, manipulations diverses. A l’inverse de cette logique, si nous voulons des modèles économiques durables, la technologie doit être mise au service du progrès et du bien commun. Par exemple, les big datas sont utiles lorsqu’ils permettent de gérer des stocks et de valoriser circulairement des produits alimentaires.

La digitalisation peut aussi créer de nouveaux emplois porteurs de sens. La formation est donc à repenser pour répondre à ces opportunités professionnelles : nouvelles pédagogies, formation aux soft skills, apprentissage sur le terrain. Si la technologie reste au service des prochains milliards de profit, nous allons droit vers “Big Brother”, tous aliénés de notre vraie nature.

3. Pas de technologisation sans acceptation sociale et changement de culture

La technologie mise au service du bien commun sera plus facilement acceptée. Le sentiment de mise à l’écart peut provoquer des conséquences démocratiques et sociétales d’envergure : il est la cause de la montée des populismes. Or, pour parer au populisme, il faut d’une part rétablir la confiance entre les citoyens et une élite dirigeante déconnectée. La participation citoyenne est un bon moyen pour la rétablir. Les plateformes digitales sont d’ailleurs des outils exceptionnels pour permettre la mise en place de pratiques participatives et inclusives. D’autre part, il est important que les décideurs eux-mêmes repensent le modèle actuel qui est de plus en plus déphasé par rapport aux attentes citoyennes et inadapté pour répondre aux grands enjeux.

Entrer dans cette nouvelle phase nécessite un changement de culture, de vision. Le changement requiert la participation de toutes les parties prenantes : syndicats, entreprises, gouvernements, citoyens intergénérationnels. Ces derniers – dans un contexte d’hégémonie des réseaux sociaux et d’« émocratie » – doivent réapprendre à avoir confiance en leurs capacités.

4. Multiplicité de facteurs : l’intelligence du lien systémique

L’ampleur de notre dépendance au digital repose sur de nombreux autres facteurs : le contexte et la compétitivité internationale dans un domaine sur lequel nous sommes dépassés par d’autres continents, l’Asie en tête ; le cadre légal et les lois contraignantes européennes, nationales ou régionales ; le chamboulement provoqué par le vieillissement de la population, notamment en terme de dépenses ; enfin, une dépendance technologique accrue entraîne également une augmentation exponentielle du risque de black-out, d’hacking, de bugs. D’où l’importance de comprendre les liens entre ces facteurs influents notre économie.

Certes, les nouveaux types d’économie induites par la digitalisation pourraient accentuer les inégalités sociales, automatiser de nombreux emplois, abuser de nos informations personnelles ou représenter un risque de dépendance nocive. Mais la technologie est aussi une opportunité historique pour la création de nouveaux emplois valorisants, pour rétablir la confiance et l’acceptation sociale, pour être un catalyseur du changement et de la transition vers une société inclusive, holistique et respectueuse de la terre. L’impact de la digitalisation sera en effet positif si celle-ci est contrôlée, sensée et garante du progrès et de l’inclusion de tous.

Le Club of Brussels est un groupe de réflexion sur la transition économique. Les experts signataires sont : Marc Ruelle, Eve Calingaert, Catherine Pluys, Antoine Arnould, Henk Van’t Net, Michel de Kemmeter, Didier Lodewyckx, Marjolaine Gailly, Eric Hereman, Didier Van Rillaer, Thierry Pauwels, Francine Beya, Elise Tilmans, Benoît Abeloos, Christian Ghymers, Olivia Mariaule, Jenifer Desmet, Victoria Hingre, Patrick Versée, Benoît Pitsaer, Bruno Arnould, Koen De Leus, Tanguy De Lestré, Eliot Thielemans

Demain, la diversité ne fera plus peur aux entreprises

Publié dans l’Echo le 14 février 2019
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L’échec des politiques d’inclusion dans le marché du travail belge n’est pourtant pas une fatalité mais une construction sociale. Des solutions existent pour améliorer la situation et profiter pleinement de la richesse de la diversité : l’apport d’autres cultures, l’innovation des jeunes, l’expérience des anciens, une plus large féminisation du travail pour compenser le vieillissement de la population, sans oublier l’intégration des personnes en situation de handicap.

La Belgique continue à enregistrer de mauvais résultats en matière de gestion de la diversité dans le marché du travail. Nous nous référons dans cet article à la diversité prise dans son sens large : cultures, générations, handicaps et genres. En effet, de fortes discriminations directes, indirectes, sournoises et structurelles persistent.

Malgré une forte croissance depuis les années 70, le taux d’emploi féminin reste inférieur à celui des hommes (66,3 % et 73.8%) [1]. Le nombre supérieur d’emplois féminins temporaires et à temps partiels empire le constat : en quantités d’heures, la féminisation du marché du travail est beaucoup moins importante. Il existe également une ségrégation verticale structurelle dans la mesure où le travail féminin est plus souvent salarié. De plus, toutes choses égales par ailleurs, une femme gagne en moyenne 8% de moins qu’un homme [2].

La gestion de la diversité culturelle est également défectueuse. Le taux de chômage des personnes provenant de pays hors UE-28 atteint les 25% [3] . Et les immigrés au travail subissent 3 un phénomène d’ethnostratification : ils sont plus souvent concentrés dans des secteurs porteurs d’emplois précaires aux conditions difficiles. La banalisation des discours xénophobes et la montée de l’extrême droite risquent par ailleurs d’empirer la situation.

Quatre générations se côtoient au travail. Pourtant, les jeunes ont tendance à être écartés des organes de gouvernance et de décision. A titre d’exemples, les moins de 45 ans ne représentent que 8% des CA des grosses entreprises belges et seulement quatre des 150 députés ont moins de 30 ans [4] . D’un autre côté, certains anciens sont également rejetés du marché de l’emploi, ou poliment mis de côté.

L’échec des politiques d’inclusion dans le marché du travail belge n’est pourtant pas une fatalité mais une construction sociale. Des solutions existent pour améliorer la situation et profiter pleinement de la richesse de la diversité : l’apport des autres cultures, l’innovation des jeunes, l’expérience des anciens, une plus large féminisation du travail pour compenser le vieillissement de la population, sans oublier la richesse que génère l’intégration des personnes en situation de handicap.

1. Seuls, on ne fera rien

184 nationalités vivent ensemble quotidiennement à Bruxelles. L’intensification du processus de globalisation a modifié nos rapports sociaux et rendu nos sociétés profondément multiculturelles. Il est indispensable d’apprendre à vivre ensemble car on ne saura pas faire autrement. Les replis identitaires sont inefficaces et inenvisageables. Les migrations ont toujours existé, elles ont simplement pris une autre dimension avec le développement des technologies et des transports. Les migrations climatiques vont participer à l’accélération de ces flux. Nous ne saurons faire autrement que de partager les ressources. Créer du lien est un besoin universel et répond à un enjeu fondamental : devenir humains, vraiment. Donc, seuls on ne fera rien de bon. Il va falloir faire ensemble – qu’on le veuille ou non – traversant toutes les frontières possibles d’âges, de cultures, de genre, de fonctions et d’industries.

2. Raconte-moi ton histoire

Impliquer les personnes issues de la diversité nécessite le prérequis de s’intéresser à celles-ci. Adopter une posture de curiosité continue permettra réellement de comprendre les autres cultures et générations et l’apport de leurs inclusions. En écoutant et respectant les histoires personnelles, nous allons casser les croyances et apprendre d’autrui. Pour ce faire, notre altruisme socio-émotionnel doit pouvoir dominer notre égo personnel.

3. Décider ensemble, sur la durée, dans des espaces de qualité

Si cette curiosité est authentique, elle entraînera l’adoption de comportements inclusifs. Vouloir apprendre des jeunes et d’autres cultures amène à les questionner, les écouter activement, les découvrir, les respecter, les comprendre. Il s’agit d’un travail quotidien de dialogue. Pour mener à bien cette démarche, on pourrait penser à mettre en place dans les entreprises des outils de médiation afin de connaître et comprendre la réalité du terrain et les difficultés rencontrées par chacun. Cette inclusion doit pouvoir être percevable par la personne concernée. Il est important d’impliquer un plus grand nombre aux prises de décision. On pourrait par exemple imaginer une ouverture des conseils d’administration afin de décider collectivement la gouvernance : gouvernance participative, management collaboratif, apprentissage de pair à pair, événements d’équipe réguliers. Bref, travailler sa terre en continu.

4. Servir plus grand que nous, valoriser chacun

Inclure la diversité sous-entend avancer ensemble. La co-création nous semble dès lors essentielle. Si nous parvenons à créer un projet commun qui a du sens, où tous ont participé d’une façon ou d’une autre, nous obtiendrons l’adhésion et la participation active à quelque chose de plus grand que nous auquel chacun adhère. Un groupe qui sert l’intérêt commun et la mission qu’il a définie collectivement n’est-il pas plus efficace que la simple addition des valeurs de chacun ? Adopter une vision commune et fédérer sur des points communs est compatible avec le respect des différences et des particularités. Le sens, la quête commune, où chacun peut trouver sa place et amener le meilleur de lui-même est une des clés suprêmes.

5. Manger-danser-chanter

Valorisons les expériences positives de diversité : mettons en place des espace-temps qui permettent la rencontre et l’interaction, célébrons la richesse de la différence (par l’humour, des activités ludiques, le partage de repas culinairement divers), ouvrons les organes de décision et de gouvernance, osons la transparence sur les salaires et les enjeux pour amener la compréhension, la confiance et le respect dans les équipes. Mais surtout, rassembler autour de ce qui touche chacun: manger, danser, et chanter… succès de la diversité garanti !

De : toutes les personnes présentes au workshop : Jean Debrosse, Michel de Kemmeter, Didier Lodewyckx, Antoine Arnould, Elise Tilmans, Benoit Pitsaer, Thierry Pauwels, Jenifer Desmet, Eric Hereman, Didier Van Rillaer, Bruno Arnould et Marc Ruelle.

[1] Statistiques du gouvernement belge, 2017

[2] http://statbel.fgov.be/sites/default/files/2017-12/Rapport%20Ecart%20salarial%202017.pdf 

[3] SPF Travail, Emploi et Concertation sociale, 2017

[4] https://www.lachambre.be/kvvcr/pdf_sections/pri/fiche/fr_10_00.pdf  

En 2030, le bonheur sera au travail

Publié dans l’Echo le 16 janvier 2019
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L’ancienne vision linéaire de l’économie a prouvé qu’elle n’était durable ni humainement ni économiquement. Tous les chiffres démontrent que l’ancien modèle de management est à bout de souffle. Cette situation est propice à l’avènement de nouveaux modèles d’organisation.

Un rapide état des lieux du marché du travail suffit à démontrer l’incommodité du système économique actuel à répondre aux grands enjeux du moment. Le canyon se creuse entre les compétences des demandeurs d’emplois et le nombre croissant de jobs vacants. L’absentéisme au travail pour cause de stress, de dépression, d’anxiété a doublé en 20 ans. Le nombre de burn-out en Belgique a également doublé en seulement 5 ans . Le vieillissement de la population aura des conséquences socio-économiques gigantesques d’ici moins de 5 ans, en plus de l’impact sur les soins de santé . Les inégalités ont atteint un pic historique qui mettent à mal la cohésion sociale – les gilets jaunes n’étant que le top de l’iceberg.

Ayant compris la non-durabilité du paradigme actuel, le groupe de réflexion « Club of Brussels » se prononce pour une transition vers une nouvelle économie holistique qui place l’Humain en son centre. En intelligence collective, les différents experts du COB ont défini les grandes clés indispensables, 5 « must have », sans lesquels il est impossible d’envisager une rentabilité humaine et économique.

1. Re-connecter une population éreintée par le travail

Est-il possible d’écrire l’avenir de votre entreprise avec des employés stressés, en dépression, et dans la peur de perdre leurs acquis ? Les chiffres donnent froid dans le dos. D’ici 2030, 4.6 millions de travailleurs devront se former pendant 3 à 18 mois pour adapter leurs compétences . Qui va prendre le temps de se mettre à niveau si la majorité de la population n’est pas motivée par son job? Il est donc nécessaire d’incorporer des démarches de reconnexion avec sa puissance personnelle. La transition économique ne pourra se réaliser avec une population “malade du travail”.

2. Perception, conscience des enjeux, et transparence

Sans une transparence sur les informations, les collaborateurs ne comprendront pas les enjeux de l’entreprise. Pour être efficace, pour réveiller la curiosité du personnel et assurer la crédibilité du leader, l’accès à l’information sur l’état financier, les échanges et les perspectives de l’organisation doit être total. La rétention d’information était un outil de pouvoir. D’ici 5 à 10 ans, comment voulez-vous passer le cap sans activer l’intelligence collective des équipes, en cachant votre jeu ? Impossible. Il va falloir faire des alliances stratégiques avec des parties prenantes jusqu’alors improbables – en confiance.

3. Mise en cohérence des énergies des équipes avec celles des projets

40% des employés estiment que leur travail n’est pas indispensable, qu’il ne contribue en rien à la société . Il s’agit d’un système inouï d’inefficacité. Il faut redonner du sens et de la puissance au travail. L’énergie, la passion, la quête personnelle du collaborateur doit être en cohésion avec le projet. Il est prouvé que l’humain a besoin de contribuer au bien commun et au progrès. Ce n’est pas pour rien qu’on observe chez les jeunes un attrait grandissant pour les métiers de l’économie sociale et solidaire.

4. Participation inclusive – de la créativité en permanence

Il est temps de donner la parole à tous les acteurs, d’accorder de l’autonomie et des responsabilités aux équipes. Il faut maximiser l’apport des 4 générations présentes sur le marché du travail. Celles-ci doivent impérativement être connectées. En remplaçant la vieille vision “top-down” par une vision “all-together”, le leader accepte de ne plus être le seul référent. La passion d’apprendre et la curiosité des collaborateurs apporteront des connaissances et de la créativité en permanence. C’est sur le terrain et collectivement que nous créerons les business models de demain. L’apprentissage se fera entre pairs. A cette fin, des espaces-temps doivent être aménagés, les technologies de demain n’existant pas encore – et donc les profs non plus. Il va donc falloir “faire ensemble”.

5. Smart work

Depuis 2008, la productivité est soit en baisse, soit connaît une augmentation moins forte que dans les années 90 et début 2000 . Nous sommes donc de moins en moins efficaces – même avec les couches d’automatisation et digitalisation – et cela n’est pas tenable. Nous devons absolument apprendre à travailler le plus “smart” possible: travailler en réseau, en gestion de projet efficace, conclure des alliances. Travailler intelligemment signifie aussi offrir un espace de travail propice à l’émergence de nouvelles solutions de création de valeur : liberté de manœuvre, possibilités de challenger la direction sans risque, agilité, accès aux marchés et parties prenantes. La résilience collective est un concept clé: « Trompez-vous souvent, mais apprenez vite ».

Conclusion

L’ancienne vision linéaire de l’économie a prouvé qu’elle n’était durable ni humainement ni économiquement. Tous les chiffres démontrent que l’ancien modèle de management est à bout de souffle. Il n’est plus viable. Cependant, cette situation est propice à l’avènement de nouveaux modèles d’organisation. Nous constatons en effet un intérêt croissant pour le management collaboratif, l’entreprise libérée, la prise en compte de valeurs intangibles. L’avenir est à l’organisation intelligente qui permet la participation inclusive et contribue aux enjeux de bien commun.

Le Club de Bruxelles veut replacer l’humain au centre de l’économie

Des entrepreneurs, académiciens et représentants du monde associatif se mobilisent pour une économie plus inclusive et durable.

La montée en puissance des mouvements populistes des deux côtés de l'Atlantique montre à quel point nos sociétés sont tenaillées par l'angoisse. Délocalisations d'entreprises, immigration, endettement bouchent l'horizon. La reprise économique promise s'éloigne sans cesse, tel un mirage. D'où l'urgence de repenser notre modèle économique.

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